mardi 21 février 2012

DU GRAND DÉLIRE  



LES ZONES D'OMBRE AUTOUR DE LA MORT DE JACQUES BINO (7ème et dernière partie)


« La très influente Colette Koury, présidente de la Chambre de commerce et de l'industrie de Pointe-à-Pitre, mise en cause par Elie Domota, réagira très laconiquement dans le numéro de France-Antilles faisant suite à l'article de Medipart :

« La thèse du commando de patrons, c'est vraiment n'importe quoi. C'est aberrant, c'est du délire, un grand délire ! Et si cette thèse est partagée, c'est alors un grand délire collectif ! Je n'ai rien d'autre à dire sur ce sujet. »

Est-ce si imaginable que cela, madame Koury ? Essayons de nous livrer à un petit exercice de politique-fiction – non pour affirmer que c'est ce qui s'est passé ce soir-là, mais pour voir si cette piste pourrait ou non tenir la route et donc mériter une enquête sérieuse :

Devant la tournure très préoccupante que prennent les événements, des patrons décident effectivement d'assurer eux-mêmes leur défense. Ils font appel à des sortes de mercenaires, de grands délinquants guadeloupéens, prêts à se vendre au plus offrant, issus des quartiers populaires qu'ils connaissent bien. Ceux-ci forment une équipe de quatre personnes, lourdement armés et se déplaçant à moto pour contourner les barrages. Selon le principe vieux comme Hérode des individus infiltrés dans les manifestations pour les faire dégénérer et justifier la répression derrière (1), ils reçoivent l'ordre de faire basculer le conflit dans autre chose que des pillages et des saccages de magasins. Pour ceux qui donnent les ordres, le statu-quo n'est plus possible. Profitant du fait que la plupart des jeunes étaient masqués ou cagoulés, qu'un bon nombre était armé, ils n'ont aucune difficulté à se disséminer dans la foule.


 La cité Henri IV au lendemain du meurtre (photo ©FG)


De l'autre côté de la cité, un des membres du commando voit pénétrer une voiture ayant le petit fanion rouge à son antenne, l'identifiant comme sympathisant du LKP. D'un coup de téléphone portable, il prévient son collègue, resté près du barrage. Pour justifier son geste et qu'il ne passe pas pour celui d'un provocateur, celui-ci s'écrie « Messieurs, voici la BAC ». Si ça tourne mal, les trois autres sont prêts à lui venir en aide. Personne ne s'oppose à son geste. Il tire en direction de la voiture et nos quatre mercenaires se replient.

L'un d'eux retourne sur le boulevard Légitimus où il rend compte, toujours par portable, de l'action qu'ils viennent de mener et des avancées des pillards qui s'en prennent à la bijouterie et au magasin d'électronique. Il rapporte avoir identifié un gars qui a fait de la prison et qui assiste au pillage, c'est Jimmy Lautric. Les commanditaires lui donnent l'ordre d'intervenir à nouveau. Il rejoint ses complices, restés en retrait, avec qui il retourne à moto sur le boulevard Légitimus. Ils tirent sur Lautric, à la fois pour faire un exemple et pour montrer qu'ils ne plaisantent pas. Enfin, ils empêchent les pillards de partir avec leur butin et repartent à grande vitesse, avec le sentiment du devoir accompli.

Du grand délire ? La déclaration du procureur au matin même du drame était très claire : pour le pouvoir, dès le départ, il ne pouvait y avoir d'autre alternative que d'imputer la responsabilité de la mort de Jacques Bino aux "jeunes". Restait donc à trouver le plus vite possible un coupable...


Colette Koury (photo France-Antilles)

En réalité, rien aujourd'hui ne permet d'affirmer que ce ne sont pas en effet des jeunes qui ont tué Jacques Bino en pensant faire feu sur des policiers de la BAC mais la façon dont l'enquête est conduite amène à se poser de sérieuses questions pourquoi vouloir étouffer l'histoire du commando qui a tiré sur Jimmy Lautric et se braquer sur une piste qui semble ne reposer que sur du vent, à savoir une identification farfelue, des témoins incohérents et contradictoires quand ils ne sont pas anonymes ? Pourquoi avoir recours à quelque chose qui ressemble fortement à une manipulation de l'opinion publique, visant à lui faire croire qu'on vient de retrouver beaucoup de brenneckes chez Ruddy Alexis, alors qu'il s'agit d'une affaire vieille de treize ans et qui concernait un membre de sa famille ? Pourquoi vouloir criminaliser l'envoi d'un SMS qui circulait dans toute la Guadeloupe ? On comprend mieux la frilosité de la justice qui ne tient pas à ce que l CGTG mette son nez dans ce dossier ! Et puis, comme le rappelle Carib Creole News, Nicolas Sarkozy lui-même jettera le trouble lorsque, recevant les parlementaires guadeloupéens à l'Elysée, le 19 février 2009, il déclara : « il est inadmissible qu'un syndicaliste ait été tué. Il s'agit d'un assassinat (2). » L'avocat de formation qu'il est peut-il ignorer qu'un assassinat est un meurtre avec préméditation ?

Le fait est que la mort de Jacques Bino a plongé la Guadeloupe dans l'effroi. Beaucoup se sont dit que tout cela était allé trop loin et se sont détournés du LKP que les médias et les officiels rendaient responsables des événements. La mort du syndicaliste a permis le retour au calme avec la reprise en main par le pouvoir d'une situation qui lui avait totalement échappé et l'arrêt des pillages et saccages de commerces. Dans le cas où la mort d'un elkapiste aurait suscité un regain de violence, avec un esprit de vengeance, contre des personnes cette fois et non plus des biens, cela aurait autorisé les forces de l'ordre à réprimer très durement le mouvement... Pour Jean-Marie Nomertin, pour que cette piste ou d'autres aient la moindre chance d'être un jour ne serait-ce qu'étudiées, il faudrait qu'une enquête soit diligentée par des policiers compétents qui ne dépendent pas de la Guadeloupe. En attendant, on semble s'acheminer vers un procès purement politique, tandis que très vraisemblablement, le coupable de la mort de Bino court toujours. Lorsqu'une reconstitution a été ordonnée par le parquet en juin 2010, de jour et non de nuit comme cela aurait dû être le cas pour respecter les conditions du meurtre, Ruddy Alexis, clamant plus que jamais son innocence, a refusé de s'y prêter. Il a par ailleurs entamé une nouvelle grève de la faim. »

Extrait de "LKP, le mouvement des 44 jours", Gircour Frédéric et Rey Nicolas, édition Syllepse (2010)

1 A ce sujet, cf. LeNouvelObservateur, 6 mai 2009, « 1er mai : des policiers en civil auraient provoqué des gendarmes » (http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20090506.OBS5941/1er-mai-des-policiers-en-civil-auraient-provoque-les-gendarmes.html)   

2 Caraib Creole News, 2 mars 2009, « justice : Mystère autour de la mort de Jacques Bino » (www.caraibcreolenews.com/news/guadeloupe/1,1043,02-03-2009-justice-mysta-res-autour-de-la-mort-de-jacques-bino-.html)   


Épisodes précédents (cliquez sur le lien):
1ère partie : Les faits
2ème partie : Fausses pistes
3ème partie : Ruddy Alexis

1 commentaires:

Anonymous le visiteur a dit...

j'ai mis du temps à comprendre.
elle nie le complot patronal parce que en fait c'est comme si elle dit que c'est pas facile de travailler avec les Guadeloupéens.

Les békés ont l'art de sortir des phrases comme :
" je vous laisse découvrir ce que c'est de travailler avec les Guadeloupéens" comme ça les embrouilles, c'est jamais de leur faute.

23 février 2012 à 05:51  

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