samedi 28 janvier 2012

AFFAIRE HANS PETERSON - TROISIÈME PARTIE


DANS LA TÊTE DU MEURTRIER

Dans mon précédent article1, j'évoquais dans le détail les effets secondaires que Hans Peterson dit avoir ressenti à la suite de sa prise d'accutane, un anti-acnéique extrêmement puissant, fortement soupçonné de déclencher chez certains patients des troubles psychiques conduisant à la dépression et au suicide. Hans Peterson, lui, plutôt que de se suicider, a assassiné dans les circonstances abominables que j'ai décrites dans mon premier article2 consacré à cette affaire, le dermatologue qui lui avait prescrit ce médicament. S'il a reconnu avoir très tôt éprouvé des envies de meurtre à l'encontre du docteur Cornbleet, qu'il tenait pour responsable de sa situation, il lui faudra quatre ans avant de passer à l'acte ! Pour tenter de retracer le cheminement mental du bourreau du dermatologue, nous pouvons compter sur les aveux faits par Hans Peterson lors de ses interrogatoires successifs au cours de l'enquête ainsi bien sûr que sur ses déclarations devant la cour d'assise de Basse-Terre. Ces explications à posteriori sont bien sûr du plus vif intérêt mais peut-être pas autant que celles que nous apportent les posts qu'il a laissé sur un forum en anglais3, dont Chien Créole continue de vous livrer en exclusivité la traduction des passages les plus marquants.

Hans Peterson (Photo ©FG)


Une obsession

Dès l'apparition des premiers effets secondaires, après seulement trois prises d'accutane, le jeune États-unien interrompt son traitement et prend contact avec le docteur. Il attend de lui des explications et surtout des solutions mais le dermatologue lui avouera son incompréhension et l'encouragera à se tourner vers les laboratoires Roche qui produisent le médicament en question. Après ça, il tentera d'éviter ses appels autant que possible car ce ne sont pas moins de 300 appels qu'Hans Peterson passera au cabinet du praticien, mais aussi à son domicile, allant petit à petit jusqu'à le menacer de mort. Cet harcèlement est le premier indicateur de la névrose obsessionnelle que le jeune patient va nourrir à l'encontre de son médecin.

Sur le forum découvert par Eric Dubois-Millot, il dit, assez rapidement après que les effets secondaires se sont fait sentir, sa déconvenue face au corps médical, incapable de lui venir en aide :

« Ce forum et les sites internet comme celui-ci sont réellement les seuls outils dont je dispose pour déterminer mes espérances de rémission étant donné que je n'ai reçu absolument aucune aide des docteurs à ce jour.»4


« Ma vie a été ruinée »

Il conduit alors une réflexion de fond sur les modalités d'administration de l'accutane allant jusqu'à dessiner ce qui selon lui devraient être les limites de la médicine libérale :

« Quoiqu'il en soit, ce qui ressort de tout ça, c'est que ma vie a été ruinée par le fait de prendre un médicament absurdement puissant que pour commencer je n'aurais jamais du prendre. Des recommandations étaient censées me mettre en garde mais dans mon cas, aucune ne m'a été délivrée. Les modalités d'information des patients sur les possibles effets secondaires de ce médicament doivent être drastiquement réformées. Je crois fermement que les docteurs libéraux ne devraient pas être autorisés à prescrire ce médicament, afin d'éviter des situations comme la mienne impliquant un praticien sans déontologie (seuls des docteurs affiliés aux hôpitaux devraient être autorisés à le prescrire, selon moi). »5

Cette réflexion n'est pas sans rappeler le récent débat qui a secoué la société française, après les pratiques révélées par l'immense scandale du médiator et qui a posé la question des conflits d'intérêts propres aux instances de régulation et au corps médical dans leur rapport controversé à l'industrie pharmaceutique.

Hans Peterson poursuit sa critique du système:

« L'accutane génère environ un milliard deux cent millions de dollars annuels. (…) Si on tient compte du nombre de personnes touchées et qui ne donnent pas de suite judiciaire et du prix élevé de l'accutane sur le marché, il n'est pas difficile de voir que, pour des raisons économiques, l'accutane devrait ne pas être retiré de sitôt du marché. »6


L'espoir dans la justice

Il va néanmoins s'engager dans des études de droit, avec l'espoir secret d'obtenir réparation pour les dommages qu'il estime avoir subi. Au tribunal, il va expliquer s'être heurté à un mur :

« J'ai contacté plusieurs avocats, tous m' ont répondu que ma période d'exposition avait été trop courte. Je leur ai demandé : est-ce que tout ce qui me reste à faire, c'est de me tuer ?.. »

Avec beaucoup de lucidité, il revient sur ses espoirs déçus d'un procès qui lui aurait rendu justice et où il aurait été, cette fois, partie civile, et non accusé, contre les laboratoires Roche :

« Les problèmes que l'accutane a provoqué en moi sont d'ordre avant tout neurologique et par la même, non vérifiables ; les dommages que j'ai subis ne peuvent être prouvés. Au tribunal, j'aurais été débouté, n'ayant que mes seules déclarations à opposer. Si une cour m'avait donné raison, il est probable que beaucoup en auraient profité pour intenter un procès à Roche, qu'ils aient ou non subi un réel préjudice. J'ai compris que mon action en justice était irrecevable. Il n'y a pas de justice pour ce genre de problèmes... »

Pouvait-il en dressant ce bilan à la barre de la cour d'appel de Basse-Terre, ne pas faire le rapprochement avec sa situation présente et le sort que la justice lui réservait ?


Une haine irrépressible

Comprenant que tout espoir d'être reconnu comme victime par la justice est vain, c'est sur la personne du docteur Cornbleet que la haine de son jeune patient va se cristalliser. Il dira devant la cour d'assise avoir à de nombreuses reprises tenter d'oublier le dermatologue, de chasser ses envies de meurtre, mais qu'elles revenaient sans cesse. A un autre moment du procès, il précise:

«  Quand je délirais sur la façon de le tuer, ces fantasmes étaient pour moi une sorte de thérapie. »

N'exprimant aucun remord, il ira jusqu'à confesser avec une honnêteté déconcertante :

« Je me suis senti mieux après avoir commis cet acte. Toute cette rage contre l'injustice a été évacuée. (…) Si je ne l'avais pas fait, je me sentirais aujourd'hui toujours aussi mal. »

Dès son premier post laissé sur le forum que nous avons déjà amplement cité, il le tient déjà comme responsable de ce qui lui arrive :

« C'est un vieil homme dépourvu d'éthique qui m'a suggéré de prendre de l'accutane. Il a dit que c'était un médicament très sûr et courant sans effet secondaire sérieux. (...) Il ne m'a jamais montré le formulaire de consentement alors que la loi exige qu'il me le fasse signer. »7

L'avocat de la partie civile, maître Durimel, aura beau jeu de rappeler que l'accusé ne peut absolument pas prouver ce qu'il avance. En effet, une chose est sûre : le docteur Cornbleet ne pourra plus le démentir...


Un plan diabolique qui dérape

Cependant, lorsqu'il retourne au cabinet du dermatologue, quatre ans après sa première consultation, l'intention d'Hans Peterson n'est pas de le tuer :

« Je voulais qu'il aie vraiment la sensation de souffrir d'une perte douloureuse. » déclarera-t-il.

Le plan qu'il échafaude fait froid dans le dos : il envisage en réalité de lui couper les mains et les pieds, à l'aide d'une petite scie à métaux qu'il achète sur la route de Chicago. Il se procure également de la cordelette pour pratiquer des garrots, ainsi qu'un chalumeau pour cautériser les moignons... C'est ce qu'il va entreprendre d'accomplir après un rendez-vous obtenu avec un prétexte fallacieux et bien sûr sous un faux nom. De fait avant de le larder de 71 coups de couteaux mortels, Hans Peterson, après avoir ligoté sa victime, entamera ses chevilles et ses poignets jusqu'à l'os, avec sa petite scie à métaux. Néanmoins, le docteur Cornbleet se débat, l'obligeant à poser le couteau au sol pour resserrer ses liens. Avec l'énergie du désespoir, le dermatologue s'empare de l'arme de son bourreau et le blesse à l'entrejambe. Hans parvient alors à saisir le couteau par la lame et l'arrache au docteur, non sans s'entailler profondément la main. Saisi d'une rage aveugle, il va alors littéralement massacrer sa victime à coups de couteau, renonçant de fait à son projet initial de mutilation.


Au vu de tous ces éléments, les jurés de la cour d'assise vont-ils considérer qu'Hans Peterson est fou ? S'il est reconnu irresponsable de ses gestes, il ne pourra être condamné et sera interné et soigné en hôpital psychiatrique. L'avocat général et celui représentant la famille Cornbleet ne veulent pas en entendre parler et réclament la plus lourde peine que prévoit le code pénal français : la perpétuité assortie d'une peine incompressible de 22 ans pour homicide volontaire accompagné d'acte de torture et de barbarie.

A suivre...

Frédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

1« Affaire Hans Peterson – 2ème partie : Isotrétinoïne, une molécule assassine ? » par Frédéric Gircour (http://chien-creole2.blogspot.com/2011/12/laffaire-hans-peterson-2eme-partie.html ), blog Chien Créole, mardi 13 décembre 2011
2« Affaire Hans Peterson – 1ère partie : La Guadeloupe est-elle passée à côté du procès du siècle » par Frédéric Gircour (http://chien-creole2.blogspot.com/2011/11/affaire-hans-peterson.html), blog Chien Créole, lundi 28 novembre 2011
5Ibid
6Ibid
7Ibid

9 commentaires:

Anonymous Le visiteur a dit...

donc il voulait que le dermato souffre "d'une perte douloureuse "
et il a fait en sorte d'avoir le meilleur alibi possible.

si il s'était suicidé, c'est automatiquement son entourage qui aurait subi une " perte douloureuse".
Ils seraient allés chez le médecin, ils auraient dit :
mais vous savez bien que c'est pas un suicide déguisé, car au fond, c'est un assassinat.
Et alors le médecin aurait répondu :
Mais non, en général les gens disent ça car ils culpabilisent.

Moi, je voudrais comprendre un truc :
je pense que on a assassiné un professeur de philosophie à la Martinique en 2006.
C'est pas parce que je culpabilise,
c'est parce que l'enquête a été gravement bâclée.
Officiellement, c'est un suicide.
Depuis, silence radio.

Et le mensonge, ça se soigne ?

29 janvier 2012 à 01:24  
Anonymous Le visiteur a dit...

si vous voulez savoir où cette dame avait été nommée,
regardez ce lien
http://www.youtube.com/watch?v=uN1-FYuBEqI&feature=endscreen&NR=1

C'est des pauvres gosses, hein, pas vrai ?

alors ne te trompe pas de colère
et méfie-toi des milliardaires
avec ou sans oeil de verre
oui méfie-toi des milliardaires.

29 janvier 2012 à 07:51  
Blogger FRédéric a dit...

Euh visiteur, t'aurais pas abusé du roaccutane dans ta jeunesse, par hasard ?

29 janvier 2012 à 09:29  
Anonymous Le visiteur a dit...

dis-moi, tu écris pour Le Nouveau Détective en ce moment ?

29 janvier 2012 à 11:34  
Anonymous Anonyme a dit...

J'avoue ne pas bien saisir où vous vouliez en venir

30 janvier 2012 à 09:32  
Anonymous Le visiteur a dit...

Pourtant c'est clair, FG est en train de nous parler d'une ordure qui a voulu faire justice lui-même.

30 janvier 2012 à 22:09  
Anonymous Jabiru a dit...

Le cas Hans Peterson est une histoire captivante, celle des effets secondaires cérébraux de la mollécule d'Isotrétinoine. L'immense majorité des ados qui a fait la guerre à leurs boutons en utilisant l'accutane et ses dérivés a été délivrée. Mais de nombreuses victimes collatérales sont entrées dans la dépression, voir le suicide à cause de cette bio-chimie neuronale. Aujourd'hui en France, tous les psychiatres le disent, il y a incompatibilité pour leurs patients sous traitement avec celui d'un dermatologue.
le Dr Cornbleet pouvait-il savoir en 2004 ce que disent aujourd'hui les psychiatres français?

Nous disposons du journal intime du criminel au cours des 4 années ayant précédé son crime qui lui a psychiquement procuré une délivrance ET la prison. Ses réflexions intelligentes sont internetisées, y compris son syndrome d'Asperger qui pointe son autisme social. Ces confidences sincères et même bouleversante quand on connait la fin du film, n'ont pas été prises en compte par le Procureur , ce sera différent en Appel.

3 février 2012 à 15:24  
Anonymous le visiteur a dit...

pff

Glenn Gould

4 février 2012 à 03:12  
Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour, savez vous quand aura lieu le procès en appel? C'est vraiment l'une des affaires les plus captivantes du 21ème siècle.

13 septembre 2014 à 07:15  

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