LE MIKA DECHAÎNÉ, MAIS QUI EST-IL ? ET OÙ VA-T-IL ?
Une nouvelle idylle idéologique
Il a fallu six mois au Mika Déchaîné « le journal guadeloupéen de libre opinion et d’analyse critique » comme il s’auto-désigne, pour sortir son dernier numéro ; autant dire que ce retour était attendu.
Gladys Démocrite, qui en est la rédactrice-en-chef, nous explique dans l’édito qu’elle compte se mettre en retrait après cette parution, ayant accepté de rentrer au cabinet de Victorin Lurel. Elle explique sa décision par cet aveu émouvant à l’endroit du président de région socialiste : « nos principes, nos valeurs et nos idéaux se sont avérés communs ».
Vous avez dit "lapsus" ?
Gladys tire sa révérence sur ce gros titre : « l’heure de vérité pour le LKP - mais qui est-il ? Et où va-t-il ? ». Etrange cette faute grammaticale en une : écrire « qui est-il ? » plutôt que « qu’est-il ? » ou « qu’est-ce que c’est ? » puisque jusqu’à preuve du contraire le LKP n’est pas une personne. Ecrirait-on : « l’UMP, qui est-il ? » ? De là à se demander s’il ne s’agit pas d’un lapsus révélateur de la façon dont les rédacteurs du Mika envisagent le LKP, il n’y a qu’un pas. Un pas qu’on est vite tenté de franchir en observant le choix de l’illustration : la photo du visage d’un seul homme, Elie Domota, en plan serré, ce qui lui donne un air vaguement inquiétant. Ça se confirme enfin quand on lit les propos de Céline Nirin, en page 8 : « d’une organisation de rassemblement, le LKP semble s’être transformé en bras politique de l’UGTG. Son porte-parole ne porte plus guère que la parole et l’idéologie du syndicat dont il est par ailleurs le secrétaire général (l’UGTG). »
Elie Domota jetant un oeil à un ancien numéro du Mika Déchaîné (oui je sais, les unes se ressemblent étrangement) (photo : FG - archives)
Un LKP consumériste
Sur quoi Céline Nirin se fonde t-elle pour tirer cet accablant constat (qui rappelons-le, n’a strictement rien d’original puisqu’il constitue le fond de commerce idéologique des anti-LKP depuis janvier 2009) ? Elle prétend avoir analysé l’évolution de la dialectique du LKP à travers ses tracts. Soit, la démarche n’est pas inintéressante, mais dès le départ, la pertinence de son analyse laisse pour le moins songeur : notre éminente chroniqueuse a constaté qu’au début, le discours du LKP s’articulait « autour de revendications sociales et consuméristes (…) sans prétention politique » ! Puis elle ajoute que le discours s’est radicalisé « (…) au fil des mois, petit à petit, subrepticement…, le LKP affirme des revendications clairement indépendantistes dans la lignée de celles ressassées depuis ces cinquante dernières années par nos organisations nationalistes. » Sur ce elle entreprend de nous donner une petite leçon de français en se livrant à un savant commentaire de texte de l’extrait d’un tract du LKP où celui-ci se présente comme : « un mouvement de masse anticolonialiste, anticapitaliste à caractère révolutionnaire (…) ». Elle décortique l’un après l’autre chaque élément de la phrase incriminée ; poursuivons donc dans la mise-en-abyme :
Ce qui sauve le Mika Déchaîné de ce mois-ci ? Le dessin en quatrième de couv' de l'excellentissime Yeswoo du collectif 4KG
"anticolonialiste renvoie à un mouvement menant une lutte anticolonialiste"
Ainsi, pour elle, le terme « anticolonialiste » « renvoie à un mouvement menant une lutte anticolonialiste, à savoir une lutte de libération nationale. Il est donc clairement affirmé l’objectif politique de mener une lutte pour l’indépendance de la Guadeloupe. » Or l’anticolonialisme, faut-il le lui rappeler, est avant tout le rejet du système colonial, la remise en cause du rapport de domination entre ce qu’il convient d’appeler une métropole et en l’occurrence, l’un des ses départements dits d’outre-mer (si on reprend une sémantique euro-centriste). Etre anticolonialiste, c’est rejeter la nature de ce rapport qui se fonde sur un certain nombre de mécanismes comme par exemple : le fait de destiner les richesses du territoire en question à la métropole ou de garantir des débouchés dans le-dit territoire aux produits nationaux, ce qui implique de ne pas y développer une industrie concurrente, etc. Tout républicain, tout citoyen digne de ce nom devrait condamner, à l’aube du XXIème siècle, la survivance d’un modèle de société aussi archaïque et se reconnaître dans ce combat. On peut imaginer que la France fasse demain le choix d’avoir une vraie politique de développement de la Guadeloupe, dans le respect de ses citoyens, sans pour autant que les deux entités ne se séparent. N’en déplaise au Mika, on peut donc parfaitement être anticolonialiste sans être forcément indépendantiste. Ce n’est certes pas le cas des membres de l’UGTG mais c’est celui de bon nombre d’autres organisations au sein du LKP.
Sociétés post-capitalistes
Poursuivons le raisonnement de l’auteur de l’article qui entreprend de nous expliquer à présent ce que signifie « anti-capitaliste » : « ici est exposée la volonté de créer en Guadeloupe, une fois l’indépendance acquise, une société nouvelle, non capitaliste, c'est-à-dire socialiste (sans classes sociales). » Dans le cas du terme anticapitaliste, j’ai grande envie de renvoyer mademoiselle Nirin au manifeste des neuf intellectuels martiniquais pour une société post-capitaliste[1], publié dans le Monde, du 16 février 2009. Elle pourra y lire notamment : « l’autre très haute nécessité est (…) de s’inscrire dans une contestation radicale du capitalisme contemporain qui n’est pas une perversion mais bien la plénitude hystérique d’un dogme. La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d’une société non-économique, où l’idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle de l’épanouissement ; ou emploi, salaire, consommation et production seraient des lieux de création de soi et de parachèvement de l’humain. » Et de développer ensuite l’idée qu’il faut donc réinstaller la valeur poétique au cœur des rapports humains et entre bien d’autres choses, remplacer la logique du profit par celle de la gratuité. On est dans ce simple exemple dans un système anticapitaliste qui n’a rien à voir avec les régimes socialistes, quoiqu’on puisse penser de ces derniers.
Rhétorique retorse
Il est permis et même souhaitable que la presse et les intellectuels puissent formuler des critiques à l’égard du LKP ou de n’importe quel mouvement. C’est quelque chose de tout à fait naturel dans une démocratie. Cependant, dans les deux cas pré-cités, Céline Nirin a recours à ce qu’on appelle en rhétorique des sophismes, autrement dit des raisonnements, selon la définition de Wikipedia, « qui semblent reposer sur des arguments apparemment solides, c'est-à-dire prenant l'apparence de la rigueur démonstrative, mais contenant en réalité un vice ou une perversion volontaire visant à manipuler ou à tromper l'auditeur. » C’est un peu comme si elle nous disait : les chats sont des mammifères, les lapins appartiennent à l’ordre des mammifères donc les lapins sont des chats. Oui les indépendantistes sont anticolonialistes mais ce n’est pas parce qu’on se revendique de l’anticolonialisme qu’on est nécessairement indépendantiste. Certes, les régimes socialistes sont anticapitalistes, mais ce n’est pas pour autant que tous ceux qui se revendiquent de l’anticapitalisme aspirent à un régime socialiste, comme je viens de le démontrer.
Le couteau entre les dents
Elle enchaîne avec le terme « révolutionnaire ». On peut lire dans son article : « (…) Le caractère révolutionnaire indique que la voie de la réforme est rejetée, on lui préfère la voie de la transformation radicale de la société par la prise de pouvoir (quels qu’en soient les moyens) ». Là, ça commençait plutôt bien. C’est exactement ce qu’il faut entendre par « révolutionnaire » : l’opposition avec le réformiste. Ce dernier considère qu’il est possible d’améliorer le système, alors que pour le révolutionnaire, c’est justement le système qui est à l’origine du problème et il convient donc d’en changer. Jusqu’à preuve du contraire, le citoyen doit être libre le choisir le système dans lequel il souhaite vivre, c’est précisément un des fondements de la démocratie, au sens vrai du terme. Malheureusement, une fois de plus, Céline Nirin se perd aussitôt dans des conjonctions et des extrapolations : « par la prise du pouvoir », « quels qu’en soient les moyens ». Des déclarations qui n’engagent qu’elle, puisque le LKP a toujours été extrêmement clair dans ses déclarations et communiqués sur sa volonté de ne pas accéder au pouvoir politique et je ne parle même pas de ses actions dont aucune n’autorise le Mika Déchaîné à lancer de telles accusations, sauf à revenir sur la farce de Victorin Lurel qui avait comparé l’occupation bon enfant du Conseil Général, avec la tentative de coup d’état fasciste de février 1934, à Paris...
Le bon conseil de Chien Créole à son confrère le Mika
Les médias aux ordres sont coutumiers de ce genre de raccourcis malhonnêtes. C’est néanmoins bien triste de voir ce journal, qui fut en son temps une référence de la presse alternative en Guadeloupe, faire le jeu du pouvoir et se prêter à ce genre de désinformations. Dans sa quatrième de couverture, le journal apparemment en difficulté financière, fait appel aux donateurs « pour survivre ». Pas chien, nous suggérons à Gladys d’en profiter pour solliciter monsieur Lurel, à qui le nouveau ton du Mika ne saurait certainement déplaire…
FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)
5 commentaires:
je vois d'ici le chantier naval .
Frédéric,
Merci de transmettre cette information :
Une nouvelle union regroupant syndicats et travailleurs égyptiens est formée, en préparation d’une grève générale.
http://www.tuc.org.uk/international/tuc-19067-f0.cfm
Notre rôle est de la soutenir en organisant, internationalement, cette grève générale.
bravo Gladys et Céline, vous avez gagné les félicitations d'Edouard Boulogne, le scrutateur ! Je suis jaloux ! :D
http://www.lescrutateur.com/article-une-analyse-de-gauche-interessante-du-lkp-65127968.html
« le Mika déchaîné » …
Pour ces « pseudo-djeuns-gwada » qui semblent déjà bien blettes plutôt que précoces, amatrices de formules chocs et de métaphores audacieuses, je leur suggère comme titre de leur feuille de choux à géométrie variable : « la Chaîne au pilon* » …
* pour mémoire, le pilon étant à la prothèse tibiale ce qu’est le Mika au godillot (= surnom donné aux parlementaires soumis à l'exécutif) !
Et pourtant, on peut très bien jouer sur la sémantique, difficile de nier l'évolution du discours du LKP. Arrêtons l'hypocrisie. Faire comme si l'engagement indépendantiste de la tête du LKP n'avait aucune implication sur le LKP lui-même est grotesque.
Petite question pour l'auteur du texte ou Frédéric : comment se fait-il que les Front pour l’avenir de la Guyane (FPAG), Kolektif 5 Févriyé (K5F) et Liyannaj Kont Pwofitasyon, réunies les 20 et 21 octobre 2009 aient appelé leur conférence : Conférence Internationale ?
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