mardi 13 décembre 2011

L'AFFAIRE HANS PETERSON – DEUXIÈME PARTIE


Isotrétinoïne, une molécule assassine ?

Le 23 avril 2002, le docteur Cornbleet reçoit à son cabinet de Chicago le jeune Hans Peterson, alors âgé de 23 ans. Celui-ci se plaint d'une acné légère mais persistante. Le dermatologue va lui prescrire un médicament des laboratoires suisses Roche, l'accutane. Le brave docteur est alors à mille lieues d'imaginer que ce geste lui vaudra d'être assassiné dans des conditions horribles, quatre ans plus tard, comme je l'ai décrit dans mon précédent article [http://chien-creole2.blogspot.com/2011/11/affaire-hans-peterson.html ]

L'auteur de ces lignes doit confesser qu'il s'est lui-même vu prescrire, à l'adolescence, ce même médicament, alors commercialisé en France sous le nom de roaccutane mais qu'il en garde, lui, un souvenir ému puisque ça lui a permis de passer d'un visage ravagé par une acnée sévère au visage lisse, avenant et rayonnant qui est toujours le sien aujourd'hui ! A l'évidence Hans Peterson a eu moins de chance...


Le flair du racoon

Eric Dubois-Millot, alias le racoon, complice de mon confrère blogueur de St Martin, Jabiru(1), est tombé lors de ses minutieuses investigations sur un forum en anglais réservé aux victimes de l'Accutane, sur lequel le jeune États-unien a laissé pas moins de soixante-quatre messages(2) ! Le premier remontait à un mois-et-demi après sa première consultation et le dernier, a été écrit en cavale, depuis St Martin ! Quoique le lien ait été publié sur le blog Jabiru(3), il semblerait que la défense de Peterson n'aie pas eu connaissance de cette mine d'informations qui apporte pourtant un éclairage unique sur les motivations de l'assassin. En exclusivité, Chien Créole va vous livrer, les passages les plus significatifs traduits en français, dans lesquels Hans Peterson relate lui-même sa descente aux enfers.


Des effets pour le moins "indésirables"

Dans son premier message, à peine un mois-et-demi après sa prise de médicaments, il décrit les premiers symptômes qui lui sont apparus après sa prise d'accutane. Nous sommes le 16 juin 2002 :

« Je l'ai pris pendant deux jours. Ensuite j'ai eu une violente migraine et j'ai alors lu des informations concernant les effets secondaires. J'ai tout de suite arrêté. Je pensais être hors de danger en ayant pris si peu de cachets. Cependant, environ cinq jours après, j'ai senti une profonde dépression me gagner et je ne pouvais plus trouver le sommeil. Mes oreilles ont commencé à siffler en même temps et j'ai commencé à perdre beaucoup de cheveux (…). Mon appétit s'est aussi volatilisé autour de ces mêmes dates. Une paire de jours plus tard, ma libido s'est mise en berne et j'ai perdu quasiment toute sensation sexuelle. »(4)


Hans Peterson dans le box des accusés (photo © FG)

Le 15 octobre 2003, il explique que si la migraine et l'insomnie sont passées au bout de deux, trois mois, il ne constate aucune amélioration concernant les autres points. A un autre moment, il évoque d'importants et durables problèmes intestinaux. Le 18 mai 2004, il dresse le constat suivant :

« (…) je ne suis plus la même personne qu'avant : je ne peux me concentrer sur rien, je n'apprécie rien, je n'ai plus du tout d'appétit et je suis dans un état d'anxiété perpétuel. Certains diagnostiqueraient ça comme une dépression – mais ce terme ne reflète pas la réalité. Il y a quelque chose de plus. J'ai connu la "dépression" avant l'Accutane – ce n'est pas la même chose. C'est un changement drastique dans ton esprit que je suis incapable d'expliquer de façon adéquate pour le moment. »(5)

Le 09 octobre 2002, il conclue son message par ces mots :

« J'aimerais penser positivement, cependant, je n'ai pas trouvé un seul exemple de récupération à long terme pour nourrir le moindre espoir.  »(6)

Le 18 juillet 2007, il confirme qu'il a abandonné tout espoir de rémission comme en témoignent ces quelques lignes : 

« Je ne connaîtrai plus jamais le plaisir avec une femme parce que je n'éprouve plus aucune sensation sexuelle – Je ne saurai plus jamais ce qu'est le silence à cause du sifflement permanent dans mes oreilles – Je ne saurai jamais qui j'aurais pu devenir à cause de ce que cette saloperie de médicament a fait de mon esprit. Un médicament qui n'aurait jamais du m'être prescrit. »(7)

Et puis le 26 mai 2004, il écrit :
« Tout ce que je voulais, c'était une crème pour la peau. »(8)



"Mourir pour quelques boutons"

Daniel Voidey a fait le déplacement de Nice, pour assister et témoigner au procès. En 2007, à trois jours de couler une retraite paisible, ce sapeur-pompier au profond regard bleu découvre que son fils de 17 ans, Alexandre, s'est pendu dans un bois. « Si c'était pas les autres collègues qui avaient pris l'appel, j'aurais pu être celui appelé à décrocher mon fils... » me dira-t-il. Le ciel tombe sur sa tête et sur celle de sa femme. Le geste de leur enfant semble inexplicable : certes depuis un mois il paraissait fatigué, mais jusqu'alors il était plein de vie. Il venait juste de passer avec succès son bac. Au départ, ils ne font pas le rapprochement avec le traitement contre l'acné qu'il vient de commencer, mais un message retrouvé par la police sur le portable d'Alexandre, rédigé à l'attention de sa mère quelques jours plus tôt, bien que jamais envoyé, va leur ouvrir les yeux :

« “Maman, je ne sais pas ce que j'ai depuis 3 semaines, mais là j'en ai marre, j'en peux plus, j'ai toujours mal quelque part, les articulations, le dos, les ongles incarnés, ma peau qui me gratte tout le temps. C'est des petites choses, mais accumulées, c'est dur”.

 Daniel Voidey (photo © FG)


Daniel Voidey entreprend alors des recherches et découvre que l'isotrétinoïne, la molécule active présente dans le roaccutane puis dans les médicaments génériques que prenait Alexandre (à savoir le curacné des laboratoires Fabre et le procuta des laboratoires Expanscience) est bien loin d'être aussi anodine qu'on ne pourrait l'attendre d'une substance destinée à guérir des boutons. Les laboratoires Roche ont développé l'accutane non pas en cherchant un remède contre l'acné mais au cours de recherches pour un médicament à utiliser dans le cadre d'une chimiothérapie, pour ses effets puissants sur certains cancers du cerveau, comme les neuroblastomes, par exemple. A ce jour, personne n'est capable d'expliquer par quels mécanismes l'isotrétinoïne parvient à soigner l'acné.

"Mourir pour quelques boutons"(9), un reportage de la TSR, met en lumière deux études scientifiques dont les conclusions donnent à réfléchir :
La première a été réalisée de manière indépendante des grands laboratoires par une équipe de chercheurs renommés dirigée par le docteur J. Douglas Brenmer. Il témoigne devant la caméra :

« Nous avons analysé un groupe de 13 individus qui ont été traités avec l'isotrétinoïne, (...) aux Etats-Unis, et nous les avons comparés à quinze individus qui ont été traités avec des antibiotiques. On a analysé la fonction cérébrale, avant, pendant et après le traitement avec les antibiotiques ou l'isotrétinoïne : nous avons observé une diminution de 16% de l'activité cérébrale dans le cortex frontal, chez les patients traités avec l'isotrétinoïne, ce qui n'était pas le cas avec les autres. Le cortex frontal est le siège des émotions et de l'humeur.»(10)

L'autre étude scientifique a été menée conjointement par la Bath University d'Angleterre et par l'université d'Austin au Texas. Michele Lane, professeur en écologie humaine qui a participé à cette étude, témoigne :

« Ce que nous avons fait c'est que nous avons pris deux groupes de souris adolescentes. Le 1er a reçu une injection du médicament à la dose correspondant à celle donnée habituellement aux humains, l'autre groupe a reçu un placebo. Les souris ont reçu ces injections de médicament ou de placebo pendant 6 semaines. Ensuite les souris ont été soumises à une série de tests de comportements (…) Le but de ces tests, c'est de modéliser ce qui se passe chez les humains. Bien sûr, une souris n'est pas un humain et elle ne peut pas dire si elle se sent triste ou non, en revanche on peut mesurer chez l'animal le manque de volonté pour échapper à une situation périlleuse. En théorie, ça correspond à un manque de motivation chez l'humain dépressif. Les  résultats de notre étude montrent une augmentation du comportement dépressif chez les souris adolescentes à qui on a injecté de l'accutane. »(11)

L'émission énonce encore quelques chiffres qui font froid dans le dos :

« (…) le risque étant sous-estimé, les patients et leurs parents ne font pas forcément le lien entre une dépression et le médicament et face au suicide d'un enfant, qui a le réflexe d'avertir le dermatologue ? (…) Dans la banque de donnée des effets secondaire [liés à la prise d'isotrétinoïne – NDLR] de l'OMS , un millier de suicides ou tentatives de suicides, 2000 dépressions et plus de 6000 cas de troubles psychiatriques ont été répertoriés depuis 1983. Les autorités américaines estiment qu'il faudrait multiplier ce chiffre par cent, car seule une infime partie des cas sont signalés. La multinationale suisse Roche qui produit ce médicament a toujours refusé de financer les études qui auraient permis de confirmer ou d'infirmer le risque de suicide lié au Roaccutane. Les données épidémiologiques sont insuffisantes pour établir un lien de cause à effet. »(12)


Par ailleurs, dans un courier adressé le 5 mai 2007 au cabinet du ministre de la santé, le professeur Rouyer, éminent pathologiste qui a fait partie de l’équipe du professeur Chambon, laquelle a mis en évidence en 1988, la famille des récepteurs nucléaires de l’acide rétinoïque, tire le signal d'alarme :

« (…) L’isotrétinoïne est un médicament dangereux(…) Elle contrôle de nombreuses voies métaboliques par son action sur plusieurs récepteurs nucléaires (RAR). (…) Au cours du traitement de l’acné, l’isotrétinoïne peut modifier de manière significative l’activité des zones cérébrales dont la perturbation est mise en cause dans la schizophrénie et la dépression. »
Il admet cependant dans le même courrier qu' « (…) il ne sera jamais possible, ou du moins extrêmement difficile, de démontrer de manière statistiquement significative un lien de cause à effet entre le traitement et les troubles psychiatriques. »(13)


Des suicides en pagaille

Daniel Voidey, lui, a décidé de se battre et a créé l'AVRG (l'Association des Victimes du Roaccutane et Génériques) ce qui lui a permis jusqu'à aujourd'hui de recueillir de nombreux témoignages. Il a ainsi répertorié pour la seule France et avec ses faibles moyens, une quarantaine de cas de suicides vraisemblablement liés à la prise de ces anti-acnéiques et des centaines de cas de tentatives de suicide. Ce témoignage par exemple a été adressé à Daniel Voidey suite à une interview qu'il a donné au Midi Libre :

« (…) ce matin est paru sur notre quotidien régional le MIDI LIBRE en titre principal l’incidence que pourrait avoir l’usage du roaccutane sur l’état psychologique de ceux qui en prenne. Cela a eu l’effet d’une bombe pour moi. Ma soeur Carole s’est suicidée par pendaison le 6 juillet dernier, elle a pris ce traitement pendant je crois plus de 6 mois (…)
Ma soeur n’était absolument pas dépressive,elle réussissait dans ses études, elle avait 24 ans une mère qui l’adorait ,une famille très entourante. Vous avez vécu la meme chose donc je n’ai pas besoin de vous détailler combien ce geste nous a plongé dans l’incompréhension la plus totale, elle dit dans son mot d’adieu qu’elle ne supporte plus sa vie, qu’elle est trop fatiguée…
Nous avons essayé de nous convaincre qu’il y a des choses qui restent du domaine de l’inconnu et que peut etre nous ne connaissions pas des parts d’ombre de ma sœur (...) »(14)

Parfois, ce sont des témoignages concernant des tentatives de suicide, comme celle rapportée par cette mère probablement tombée sur le site de l'association quelques minutes plus tôt :
« Mon fils Renaud 17ans est sous curacne depuis la mois d’aout jusque la tout allait bien. Depuis 3 semaines il est passé sous curacne 40mg et la tout c’est degrade : douleurs musculaires agressivite deprime et hier tentative de suicide. Il est hospitalisé a l’hopital lenval a Nice et la premiere chose qu’on fait les medecins arret de curacne quand effet indesirable. Comment peut-on laisser ce medicament sur le marché ? »
Fabienne Sauvanet(15)

Ou encore, comme celui d'Alexandre, des messages laissés par les jeunes eux-mêmes avant leur suicide :  
« la nuit je dors, mais d'un sommeil sans repos. Je me réveille très fatigué. Depuis quatre jours j'ai de forts maux de tête, des nausées et je me sens confus, sans aucune motivation. Je ressens une terrible souffrance, une envie de mourir. J'ai une forte répulsion et pour tout. » (…) « Je n'arrive pas à me concentrer, je dois faire des efforts gigantesques (...) »(16)

C'est ainsi que le jeune Suisse Mauro Weick décrivait les symptômes dont il souffrait alors qu'il était sous traitement de roaccutane avant de se suicider. 


La singularité du cas Peterson

Alors si les témoignages abondent pour dénoncer les dépressions et suicides découlant des effets secondaires présumés de l'isotrétinoïne (il suffit à chacun pour s'en convaincre de se rendre sur les nombreux forums consacrés sur la toile à cette douloureuse problématique) il n'aura échappé à personne que le cas d'Hans Peterson est singulièrement différent puisque c'est un un homicide qu'il a commis et que loin de se suicider, il a pris soin de se réfugier à St Martin et d'acquérir la nationalité française avant de se constituer prisonnier, dans le but évident d'échapper à la chaise électrique. Cela peut-il suffire à exonérer l'isotrétinoïne ? Ce procès a-t-il aussi été celui de cette molécule et plus largement de l'industrie pharmaceutique ?


À suivre

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

(1) L'oeil du Jabiru http://www.jabiru-blog.com/

(2) Accutane / roaccutane Action Group Forum (archives)

(3) Jabiru, 12 octobre 2007, "L'avocat du diable" : http://jabiru.blog.lemonde.fr/2007/10/12/lavocat-du-diable/

(4) Accutane / roaccutane Action Group Forum (archives)

(5) ibid

(6) ibid

(7) ibid

(8) ibid

(9) 36,9° (émission médicale de la TSR - Télévision Suisse Romande)  , "Mourir pour quelques boutons", 28 mars 2007 : http://www.tsr.ch/emissions/36-9/991790-mourir-pour-quelques-boutons.html 

(10) ibid

(11) ibid

(12) ibid

(13) Ducoeurjoly, Pryska, "Lutte contre l'acné : suicide sur ordonnance ?", Nexus, mai-juin 2009

(14) Site de l'association AVRG : http://avrg.unblog.fr/

(15) Ibid

(16) 36,9° (émission médicale de la TSR - Télévision Suisse Romande)  , "Mourir pour quelques boutons", 28 mars 2007 : http://www.tsr.ch/emissions/36-9/991790-mourir-pour-quelques-boutons.html  

2 commentaires:

Anonymous resiliation mutuelle a dit...

Le prise de l'accutane ou l'isotrétinoïne est donc dangereux car son effet est surtout psychologique à savoir les dépressions et suicides.

14 décembre 2011 à 05:20  
Anonymous Le visiteur a dit...

j'aime bien la question de la fin.

Mais pour l'instant, tout cela veut dire que en Guadeloupe, il est normal de tuer son dermato...

joyeux noël !

19 décembre 2011 à 00:10  

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