mercredi 21 décembre 2011

DEUX SMS D'UNE IMPORTANCE INÉGALE



 LES ZONES D'OMBRE AUTOUR DE LA MORT DE JACQUES BINO (6ème partie)

Si cette piste essentielle est négligée par les enquêteurs, une autre semble avoir mobilisé beaucoup plus d'énergie de leur part. C'est encore une fois Mediapart, le site d'information dirigé par Edwy Plenel, l'ancien directeur du Monde, qui nous le révèle1 :

« Une piste "politique", mettant en cause le LKP, semble avoir été explorée avec plus d'obstination. Il est question d'un SMS collectif reçu par de nombreux portables guadeloupéens, dont celui de Ruddy Alexis, le 17 février dans l'après-midi. Les enquêteurs se sont intéressés au fait que ce texto lui avait été transmis, entre autres destinataires, par Eric Nanette, président de l'association de quartier la Tyrolienne et proche du syndicat local CTU – deux organisations fréquentées par Ruddy Alexis. Ce SMS largement diffusé reprenait des propos tenus par des békés dans un reportage diffusé quelques jours plus tôt sur Canal+ (Les derniers maîtres de la Martinique2, dans lequel Alain Huygues-Despointes déclare : " Les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent seulement des mauvais côtés de l'esclavage, mais il y a eu des bons côtés aussi."). Les enquêteurs ont visiblement cherché à vérifier si ce texto "politique" avait pu être interprêté comme un appel au meurtre. Mais rien n'a permis d'étayer cette piste. »



Il est indéniable que ces propos ont certainement aggravé les tensions déjà existantes, mais elles ne sont pas du fait de ceux qui les ont dénoncés. Rappelons qu'Huygues-Despointes fait l'objet d'une poursuite pour incitation à la haine raciale et apologie de crime contre l'humanité pour ces mêmes propos et ceux où il condamne le métissage tout en s'enorgueillissant d'avoir voulu «préserver la race». Apparemment, le texto incriminé ne faisait même pas état de cette deuxième prise de position. Lorsqu'on lance une recherche avec les mots d'Huygues-Despointes concernant les bons côtés de l'esclavage, sur le moteur de recherche de Google, on obtient sur cette seule citation, plus de quatre-vingt-dix occurrences et ce, un an après ! Ça en fait du monde qui incite au meurtre... Si par ailleurs on considère que ce SMS a circulé dans toute la Guadeloupe, on réalise à quel point la piste en question est ridicule, mais elle semble être le seul lien qui permette au parquet de relier le meurtre du elkapiste Jacques Bino au LKP... De là à se demander si l'affaire Lautric n'a pas été étouffée juste parce qu'elle ne collait pas avec l'orientation politique que l'on a voulu donner à l'enquête, il n'y a qu'un pas...

En revanche, comme le précise Erich Inciyan, un autre SMS qui a énormément fait parler de lui aurait dû, lui, attirer l'attention des policiers. Le 12 février 2009, cinq jour avant la mort de Jacques Bino, Yvelise Boisset, présentatrice sur Canal 10, interpellait Elie Domota sur le plateau de la chaîne locale à propos d'un SMS qui, lui aussi, circulait « dans toute la Guadeloupe » :

« Suite à une sommation virulente et agressive des militants du LKP qui aurait pu dégénérer car nous les avons empêchés physiquement de rentrer dans notre entreprise, nous disons stop à toutes ces agressions que nous subissons et dont les médias ne parlent pas, évidemment. Nous demandons à tous les chefs d'entreprise de s'unir, d'ouvrir leur entreprise et d'organiser eux-mêmes leur défense compte-tenu du fait que le gouvernement ne fait rien pour nous défendre : pas de force de l'ordre, pas de policiers, même le gouvernement a peur. Laisserez-vous ces voyous détruire tout ce que vous avez investi toute votre vie ? Ressaisissez-vous et ensemble, défendons-nous pour notre avenir. »

Et voici la traduction de la réponse qu'Elie Domota a faite en créole :

« Depuis le WTC, Willy Angèle et madame Koury3 ont déjà fait une annonce comme ça, disant qu'ils inviteraient les leurs à prendre leurs dispositions. Nous savons qu'ils prennent des dispositions, pour tirer sur des gens. Ils ont monté un commando, une milice armée. Ils payent ces jeunes gars 200 euros avec pour ordre de tirer si les manifestants viennent dans leurs magasins. Je vais être clair : si une personne est blessée, un membre du LKP, un manifestant guadeloupéen, il y aura des morts, il faut qu'on se mette ça en tête ! »

Seule la dernière phrase, sortie de son contexte, avait circulé abondamment sur internet et dans les médias traditionnels pour dénoncer un « appel au meurtre » du porte-parole du LKP. La police avait même saisi les bandes à Canal 10 dans l'optique de poursuites futures ; elle ne peut donc pas prétendre qu'elle ne connaissait pas ces propos. Étrangement, pas plus que la "piste Lautric", qui pourrait bien être la traduction en actes de ce qu'Elie Domota dénonçait alors, cette piste ne fera l'objet de la moindre investigation. Il aura fallu un journaliste parisien pour qu'on s'intéresse à cette thèse ! Elle est pourtant autrement plus en relation directe avec l'affaire en cours que les citations du reportage de Canal+...

A suivre...

Extrait de "LKP, le mouvement des 44 jours", Gircour Frédéric et Rey Nicolas, édition Syllepse (2010)

1Inciyan, Erich, 30 mars 2010, « qui a tué le syndicaliste Jacques Bino ? », Mediapart

2Bolzinger, Romain, « Les derniers maîtres de la Martinique », Canal +

3Willy Angèle était le représentant du MEDEF lors des négociations ; Colette Koury est la toute puissante présidente de la CCI de Guadeloupe.   

Épisodes précédents (cliquez sur le lien):
1ère partie : Les faits
2ème partie : Fausses pistes
3ème partie : Ruddy Alexis


6 commentaires:

Anonymous Le visiteur a dit...

Petit
Pays
je l'aime
beaucoup...

22 décembre 2011 à 01:00  
Anonymous G. Zbinden a dit...

Même remis dans leur contexte, les propos d'Elie Domota sont inacceptables et ont très certainement contribué à désinhiber les actes de violence durant les évènements (cf. l'article du monde sur la violence en Guadeloupe de ce jour…).

22 décembre 2011 à 04:25  
Anonymous Le visiteur a dit...

Le mouvement a été dirigé par Domota de façon très centralisée et autoritaire.

Voyons, voyons, réfléchissons,
comment faudrait-il s'y prendre face au patronat de merde guadeloupéen ?

22 décembre 2011 à 08:21  
Blogger FRédéric a dit...

L'article du Monde ne fait que citer les propos ressortis du congrés des élus... Ce n'est pas nécessairement l'opinion du journaliste. On peut faire une toute autre analyse de l'explosion de violence en Guadeloupe. Le LKP a tenté de donner des perspectives sociales et politiques à une jeunesse totalement marginalisée par un système dont ils ont démontré les aberrations. En dépit de ses engagements, le pouvoir politique et économique a claqué la porte de l'espoir qui s'entrouvrait sur les doigts de ces jeunes. Après, pas besoin d'être un grand grec pour comprendre qu'une jeunesse désespérée, spoliée d'espoir, et de devenir n'a plus rien à perdre et risque de commettre les pires actes. Domota avait le devoir de protéger ceux qui manifestaient face aux menaces du patronat. Son avertissement visait à empêcher la violence, pas à la déclencher. Prétendre le contraire est faire preuve d'une mauvaise foi manifeste.

23 décembre 2011 à 12:12  
Anonymous Le visiteur a dit...

Pendant le mouvement, la stratégie de Domota et de ses commandos qui passaient d'une entreprise à une autre a été facilitée par le pouvoir.
À aucun moment, ils n'ont été inquiétés.

Manière de dire que
le patronat avait donc le feu vert pour envoyer ses commandos.

allez, encore un petit effort et on revient de Katmandu.

26 décembre 2011 à 08:13  
Anonymous Byle By Logdzie a dit...

Great post thankss

19 janvier 2024 à 13:30  

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