vendredi 22 janvier 2010

Conférence-débat LKP - 1er anniversaire


LE CARACTERE REVOLUTIONNAIRE DU LKP



Dans le cadre des célébrations prévues pour fêter le premier anniversaire du LKP, un débat s’est tenu jeudi 21 janvier 2010, au Palais de la Mutualité, sur le thème suivant : le LKP est-il un mouvement à caractère révolutionnaire ? La définition même du terme "révolution" ne faisant pas consensus, les invités n’ont pu se mettre d’accord sur une réponse définitive. En revanche, la réflexion menée par les uns et les autres apporte un éclairage intéressant sur ce mouvement social, révélant certains aspects qui font son originalité.



« La lutte se nourrit en marchant »


L’historien engagé Jean-Pierre Sainton a considéré que le LKP est un mouvement révolutionnaire dans le sens où il renferme une volonté radicale de changement, entraînant notamment un autre rapport de force dans la société guadeloupéenne. Il contredisait en cela Fred Deshaie, professeur d’université et chanteur du groupe Soft qui estimait avant lui que la révolution est un changement brutal de pouvoir politique, ce qui, à ses yeux, n’était pas du tout dans la philosophie du mouvement, en tous cas, pas parmi l’immense majorité de ceux qui défilaient avec le LKP. Plusieurs intervenants ont précisé qu’une révolution n’était pas nécessairement violente. De fait ce qui distingue un réformiste d’un révolutionnaire ne réside pas dans un quelconque degré de violence mais dans la différence entre la volonté d’améliorer le système et celle d’en changer purement et simplement.

Qui plus est, pour Fred Deshaye, la nature des revendications présentées dans la plateforme de 146 points étaient bien plus de nature matérielle (augmentation des bas-salaires de 200 euros, prix de l’essence, etc) qu’autre chose. Pour Rosan Mounien, ancien secrétaire général de l’UGTG dont il est l’un des fondateurs historiques et aujourd’hui l’un des idéologues du LKP, plus de la moitié des gens qui participaient aux manifestations massives du LKP en début d’année, n’étaient pas concernés par l’augmentation des 200 euros. L’enjeu n’était donc pas que matériel. Le dramaturge indépendantiste Frantz Succhab, lui, a rappelé que la révolution française avait commencé, elle aussi, par des revendications matérielles, les gens voulaient du pain, mais comme a dit Felix Fleming, secrétaire général du Parti Communiste Guadeloupéen, « la lutte se nourrit en marchant », en d’autres termes, dans le cas du LKP, il y a eu tout un processus au cours duquel les positions du mouvement ont évolué, loin de tout dogme arrêté.



L’angle trotskiste


Max Celeste, du parti trotskiste Combat Ouvrier, rappelle quant à lui, que pour que ce mouvement conduise véritablement à une révolution, il aurait fallu passer d’une grève générale à une grève insurrectionnelle, laquelle aurait débouché sur une révolution, mais toujours pour Max Celeste, ce ne sont pas les délégués du LKP qui auraient pu ou pourrait la déclencher. Dans quasiment toutes les révolutions, c’est le peuple qui prend les choses en mains et les partis suivent. Il a alors pris l’exemple de la Hongrie de 1956.


Max Céleste à la Mutualité (photo FG - archive)


Alain Plaisir de la CTU, lui aussi trotskiste, mais d’une tendance différente, a estimé pour sa part que les conditions objectives étaient réunies pour une révolution : crise mondiale, crise structurelle liée au fonctionnement colonialiste de la Guadeloupe, taux de chômage vertigineux, population se retrouvant massivement dans la rue, etc. Ce qui a manqué selon lui, c’est un parti qui donne une orientation claire, capable de proposer une alternative sérieuse. Faisant référence à Lénine, il rappelle qu’un mouvement révolutionnaire se doit d’être discipliné et cohérent. Or en fait de cohérence, le LKP est un collectif très hétéroclite qui réunit en son sein des courants pour le moins divers, « révolutionnaires, syndicalistes, et ce qu’on appelle le ventre mou, entre autres » a énuméré Plaisir. Le débat de fond sur une orientation radicalement anticapitaliste a été éludé car les partis et mouvements révolutionnaires n’ont pas voulu effaroucher les délégués qui étaient plus sur une position corporatiste.



Prises de conscience


Si les revendications de départ n’étaient pas révolutionnaires et si, à mi-parcours, on ne peut pas dire qu’on s’achemine vers une révolution, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’éléments sont apparus pendant le mouvement. Ainsi, Raymond Gama, du groupuscule ultra-nationaliste Mouvman Nonm et chargé de toute l’organisation pratique du LKP a beaucoup insisté sur la fierté retrouvée des Guadeloupéens, inhérente à la construction d’un "nous", en tant que sujet collectif. Rosan Mounien a constaté que la légitimité institutionnelle avait été remise en cause, puisque le peuple s’est posé la question à un moment de savoir qui était le plus légitime, qui le représentait le mieux ? Ceux issus des urnes ou ceux issus de la rue ? Pour sa part, Frantz Succhab a expliqué l’importance d’avoir su fédérer toutes les différentes expériences de luttes au sein d’un collectif. Fléming, du PCG, a insisté sur la prise de conscience identitaire tandis que Max Celeste soulignait que la présence massive des femmes dans un mouvement, comme ce fut le cas pendant les 44 jours, était une caractéristique qu’on retrouve dans presque toutes les révolutions. En conclusion, l’historien Jean-Pierre Sainton a partagé son analyse selon laquelle dans un grand pays où les institutions politiques et sociales fonctionnent correctement, les contradictions libérales ont tendance à se diluer, à être moins palpables, alors que dans un « petit pays » comme la Guadeloupe, les problèmes se concentrent. Ici les gens avaient l’impression de ne pas avoir de prise sur le réel, ce que la député guyanaise Christiane Taubira pour évoquer le sentiment d’exclusion chez soi appelle « l’exil intérieur ». Le LKP a changé ce sentiment.


Mais la réponse la plus juste à la question posée, c’est peut-être Alex Lollia, absent du débat, qui l’a apportée au début du mouvement, avant de prendre ses distances avec le LKP : « S’agit-il de lutter contre les profitations ou bien de construire une société sans profitation ? » Une question en guise de réponse qui mérite réflexion…


FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)



3 commentaires:

Anonymous Le visiteur a dit...

Lollia, il a pas insisté
intéressant

et puis pas trop d'arrogance, semble-t-il
m'enfin, c'est pas parce qu'on les entend eux, que ça veut dire qu'ils ont le plus d'esprit critique donc.

23 janvier 2010 à 03:32  
Anonymous Yann a dit...

Merci Frédéric pour cette superbe synthèse.

Pour moi, le LKP est en ce sens révolutionnaire qu'il fait tellement peur au gouvernement - la lutte pourrait s'étendre à la France, à Haïti, au monde entier, qui sait ? - que tout est fait pour le casser, y compris par le chantage d'une répression violente.

Construire une société sans profitation passe aussi - même si ce n'est pas suffisant - par la lutte contre toutes les profitations.

Organisation et éducation.

24 janvier 2010 à 03:18  
Blogger cdrhum a dit...

« S’agit-il de lutter contre les profitations ou bien de construire une société sans profitation ? » C'est une question qui, à mon avis, manque beaucoup de dialectique. Les deux ne sont pas "historiquement" en opposition.
Par ailleurs, mais c'est moins fondamental, mon Camarade Flemin, quoique très attaché au "G" de sa Gwadloupe, ne l'a pas annexé, à ma connaissance à la fin de son nom !!! ;)

24 janvier 2010 à 09:18  

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