mercredi 4 novembre 2009

analyse sociologique (suite et fin)

HISTOIRES DE VIOLENCES (2de partie)


6° Le hold-up du siècle

Dans un article mémorable paru en janvier 2008 dans le Monde Diplomatique (lire http://www.monde-diplomatique.fr/2008/01/RUFFIN/15507), François Ruffin a mis en lumière ce que d’aucuns ne manqueront pas de qualifier d’hold-up du siècle : d’après le Fonds Monétaire International, FMI, en 20 ans, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut, PIB, a baissé en France de 9,3%. A première vue, voilà une donnée théorique plutôt rébarbative.


François Ruffin


On peut la traduire plus simplement : au cours des vingt dernières années, 9,3% des richesses produites par la France qui auparavant revenaient aux salariés qui créent ces richesses, sont désormais passées aux mains du capital (patronat, actionnaires, etc.). On parle là de 100 milliards d’euros ! Pour donner une idée, le fameux trou de la sécu, ce n’est que 20 milliards d’euros. Dans ces 100 milliards, il y a largement de quoi reboucher le trou de la sécu, régler le problème des retraites et augmenter de surcroît les salaires. Mais non, on rabâche à longueur de temps sur les ondes que la France ne peut pas continuer comme ça, et alors qu’on rembourse des sommes colossales aux plus grosses fortunes de France dans le cadre du bouclier fiscal, on explique aux travailleurs qu’ils doivent faire encore et toujours plus d’efforts ! Ces 100 milliards d’euros ont été extorqués avec la menace du chômage, des délocalisations.


Si mes explications vous paraissent confuses, tout est résumé dans cette excellente planche illustrée de Stebar (cliquez sur l'image pour l'avoir en grand format)


On a rogné sur tout : privatisation des services publics, charge de travail alourdie (plus de travail, moins de personnel), flexibilité accrue, code du travail systématiquement démantelé, précarisation chaque jour plus importante, etc. Cette politique a mené à la crise qu’on connaît aujourd’hui et ce sont ceux là-même qui nous y ont conduit qui nous expliquent qu’il faut être raisonnable, que ce n’est vraiment pas le moment d’avoir des revendications. Combien de fois par jour entend-on en Guadeloupe : « si le mouvement repart, l’économie de la Guadeloupe ne s’en remettra pas, ce n’est pas le bon moment. » Par contre si les banques ont besoin de milliards, pas de souci, l’Etat est là. Les grands patrons n’ont pas à s’en faire non plus, leurs bonus faramineux sont garantis ; la seule chose qu’on leur demande c’est un peu plus de discrétion, que diable ! Et puis c’est bien naturel aussi qu’en période de crise on serve à un dîner officiel des repas à plus de 5000€ par convive au frais du contribuable. C’est à ça qu’on reconnaît la grandeur et la générosité de la France, elle sait tenir son rang !


7° L’insupportable violence

Face à cette grande orgie du capital, à ces provocations bling-blings, la détresse augmente du côté des travailleurs. Conditions de travail chaque fois plus dures, mépris avec lequel ils sont traités, peur d’un avenir qui s’annonce sombre, acquis sociaux durement conquis perdus les uns après les autres, centrales syndicales de métropoles qui font tout pour freiner la révolte des travailleurs, peur du chômage, etc. Vous me direz d’accord, c’est bien beau tout ça, enfin bien moche, mais quel rapport avec la violence ? Et bien ce hold-up et ses conséquences dramatiques constituent en soi une violence sociale, qui fait des ravages irréversibles au sein de la population : dépression, alcoolisme, pays sous antidépresseurs, mal-être, violence dans les foyers qui en découle. Et ce n’est pas tout, cette violence exercée contre les travailleurs fait aussi des dizaines de morts : en l’occurrence celle des suicides en entreprise, 24 morts notamment pour le seul Orange, enfin France Telecom, c’est pareil.


Cette violence-là est le résultat d’une agression au nom du profit ; elle est le fruit de choix politiques. Dommage que ceux qui n’ont pas assez d’adjectifs pour condamner la violence du LKP qui contraint les patrons à fermer leurs entreprises ne soient pas aussi vindicatifs contre un système qui, loin de soulever espoir et dignité, plonge les travailleurs dans le désespoir et les accule à la mort.


8° La stratégie du pare-feux

Face à ce terrible problème de société, que fait le gouvernement ? Se remet-il en cause, est-il disposé à faire cesser cette profitation ? Engage t-’il un grand débat national sur la souffrance au travail ? Pas du tout, il lance un débat national sur l’identité nationale en brandissant la terrible menace que font peser sur notre bonne république la cinquantaine de femmes qui portent la burqa en France…


La France tremble devant la menace...


Sarkozy est devenu expert dans la stratégie du pare-feu. Un grave problème social en France ? Et hop, on détourne l’attention de l’opinion publique sur un débat identitaire (l’occasion au passage de regagner les points perdus sur le terrain d’une Marine le Pen qui avait pris un peu trop d’assurance en s’en donnant à cœur joie contre Frédéric Mitterrand); on redoute certaines questions des journalistes lors de conférences de presse ? Allez hop, on n’y répond pas et on pose soi-même les questions auxquelles on préfère répondre : « alors si vous voulez savoir si… ». On a un sérieux problème social en Guadeloupe, pani pwoblem, on sort de son chapeau des états-généraux pour détourner l’attention sur des questions statutaires qui ne sont qu’accessoires, etc. Pendant ce temps-là, on continue à tout démolir, tel un bulldozer, pour ne laisser debout que le Marché et ses lois.


9° « Le travailleur nu »

Dans ce contexte, l’analyse de Jacques Broda, sociologue, prend tout son sens : « Depuis trente ans les stratégies capitalistes ont visé à la destruction des organisations et des syndicats de classe, des partis révolutionnaires porteurs d’un projet d’émancipation. Sans utopie, sans idéal, sans une transcendance politique du travail et de l’acte au travail, le travailleur se retrouve seul, nu. On assiste alors à un long processus de dégradation, de découragement, de renoncement, de trahisons voire de corruptions quant aux idéaux et aux projets universels qui dépassent très largement la question de la maîtrise de son espace de travail, de sa ligne de profit (…) La perte de sens, de dignité, la soumission aux pressions ne peuvent être combattues qu’en liquidant le Capital comme forme de domination généralisée du travail et du travailleur. Quand plus rien ne fait sens, quand le sens de son existence surinvestie dans le travail s’effondre, quand les adhésions imaginaires aux logiques managériales se dévoilent dans leurs cruautés, le sujet s’effondre, dans un face à face mélancolique avec la seule instance qui ne le trahit pas : la mort. Les suicides au travail, sont la face immergée d’un iceberg. Ils signent un mal universel : au Japon tous les matins des travailleurs se jettent sous les trains. Dénoncer d’un côté la crise financière et de l’autre la souffrance au travail sans les mettre en rapport pour le coup est suicidaire de la politique. Il ne s’agit pas de réguler le capital d’un côté et de changer le travail de l’autre, il s’agit de construire la totalité inédite du sens humain de nos actes. »



10° De l’auto-destruction à la destruction

On comprend à la lecture de ces lignes toute l’importance symbolique (et pas que symbolique) que revêt dans un contexte de néo-libéralisme triomphant, un mouvement comme celui mené par le LKP. Il permet une réappropriation de l’espace, il redonne du sens, de la dignité, des valeurs comme la justice sociale pour tous ; il casse la logique de soumission ; il substitue aux sentiments d’auto-destruction un horizon politique, celui d’une société sans profitation, c'est-à-dire qui ne reposerait pas sur l’exploitation de l’homme par l’homme, tel que l’incarne le capitalisme encore aggravé par sa dimension colonialiste en Guadeloupe.


Manifestation du LKP à Pointe-à-Pitre en février 2009 (photo FG)


Vouloir étouffer tout espoir collectif ne peut que conduire à des actes de désespoirs individuels et dangereux. Vendredi 30 septembre, un cap a été franchi. Au lieu de retourner la violence sociale contre lui en se suicidant comme tout le monde ou en s’abîmant à petit feu dans l’alcool, un employé toulousain de la société UPS, Eric Constantin-Troye a abattu au fusil de chasse son patron et le fils de ce dernier âgé de trente ans. Ce père de famille de 47 ans dort désormais derrière les barreaux, accusé d’homicide avec préméditation. Il faut redouter ce type d’actions de la part d’individus qui ne voient plus l’ombre d’un espoir face à cette violence sociale et aboutissent à des gestes désespérés, irréparables et stériles. Cet acte qui a une signification bien plus grave que celle d’un vulgaire fait divers arrive comme point d’orgue d’une radicalisation de travailleurs de plus en plus durement frappés : il y a eu les séquestrations de patrons (le GIGN s’entraîne actuellement contre cette nouvelle forme d’action), les employés menaçant de faire sauter leur usine ou de polluer telle ou telle rivière, etc.


11° La responsabilité historique du LKP

En Guadeloupe, comme je lai déjà dit, la situation sociale est bien plus grave encore que dans l’hexagone. Depuis l’enlisement des négociations, on assiste à une recrudescence tout à fait préoccupantes d’actes de délinquance, voire criminels (lycées incendiés, agressions, meurtres, etc.). Chacun y va de son analyse pour tenter d’expliquer le phénomène. Ces agissements obéissent à des instincts inconscients mais ne faut-il pas y voir une réaction brutale du tissu social face à la déception soulevée après ce qui apparaît à beaucoup comme l’échec de la perspective collective du début d’année. Le LKP est donc condamné à repartir dans l’action dans un avenir très proche, s’il veut concrétiser sa victoire, la victoire des travailleurs, la victoire du peuple et stopper cette spirale de la violence qui se nourrit du désespoir. Il y a urgence. Le mois de novembre pourrait donc être socialement chaud.


FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

2 commentaires:

Anonymous Joséphine a dit...

j'ai deux amours
l' syndicat et l' caisse de secours

4 novembre 2009 à 08:18  
Anonymous perlerouge a dit...

A qui la faute ? Les syndicats de métropole et le parti de gauche officiel(ps) freinent toutes luttes du peuple.
Les travailleurs sont en effet découragés.
Les médias sont aux ordres et on encourage l'individualité et la fuite en avant par la consommation.

11 novembre 2009 à 12:40  

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