mercredi 9 mai 2012



GREVE GENERALE DU 10 MAI 2012, UN VIRAGE POUR LE LKP ?

A la fin de la manifestation du 27 mars, le LKP a appelé une grève générale illimitée à partir du 10 mai 2012. C'est la deuxième fois seulement, depuis les 44 jours que le collectif appelle les Guadeloupéens à renouer avec ce mode d'action. La dernière fois, en décembre 2010, les délégués du LKP n'avait pas jugé la mobilisation des premiers jours suffisamment importante pour poursuivre le mouvement. Les récents changements apparus au sein du LKP et l'état de la société guadeloupéenne à l'orée de 2012 peuvent-ils préjuger d'une issue différente cette fois-ci ?


Le tempo LKP

On notera pour commencer que le timing suivi aujourd'hui par le LKP est tout à fait semblable à celui utilisé lors des deux précédentes grèves générales, 2009 et 2010 : le mouvement des 44 jours était parti le 20 janvier 2009 mais avait été précédé par une première journée de mobilisation le 16 décembre 2008. Lorsque le LKP a tenté de relancer une grève illimitée en décembre 2010, il s'y est là aussi pris en deux temps avec une première journée de mobilisation en octobre et un appel à la grève générale illimitée deux mois plus tard. On peut donc parler de modus operandi (ou de tempo) LKP.


 Elie Domota, sur la place centrale de Grand Bourg à Marie Galante, le 1er mai 2012  (photo ©FG)



Un appel a donc été lancé à l'issue de la journée du 27 mars pour un mouvement plus important le 10 mai. Stratégiquement parlant, la concomitance entre d'un côté la campagne présidentielle (qui a accaparé en bonne part les esprits et parfois même les énergies) et les meetings LKP de préparation du 10 mai d'autre part, était plutôt un obstacle qu'autre chose, à l'heure de mobiliser. Mais en ignorant, ou feignant d'ignorer le calendrier électoral français, le LKP entend s'affranchir du rythme de l'hexagone et par là même, se rendre maître de son propre calendrier. Lorsqu'on songe que la plupart des syndicats hexagonaux, sont eux, à ce point inféodés au rythme électoral, qu'ils ont pour l'essentiel gelé toute tentative de construire un grand mouvement contestataire depuis grosso-modo une année, dans l'attente des élections, on se dit que la stratégie locale n'est peut-être pas forcément si mauvaise. A une très large majorité, les Guadeloupéens ont voté pour François Hollande. Plus que la victoire du candidat du PS, la défaite de Nicolas Sarkozy a créé une nouvelle dynamique, en donnant le sentiment qu'il était possible de renverser la vapeur. Quoique le LKP n'ait pas grand chose à voir avec la victoire de Hollande, il n'est pas exclu que le collectif bénéficie de cet élan. Et puis même si tel n'est pas l'objectif, si le mouvement prend de l'ampleur, le peuple de Guadeloupe aura peut-être le privilège d'envoyer le premier message fort de la base, au nouveau chef de l'Etat...


« Nous ne les laisserons pas tuer Jacques Bino une deuxième fois »

Si le timing respecté par le LKP répond donc à une façon de faire éprouvée, moins habituelles sont les modalités d'action proposées pour le 10 mai. Il n'y a pas de manifestation prévue ce jour-là. Il est demandé aux travailleurs de dresser des piquets de grève dans leurs entreprises et seul un rassemblement est prévu devant le palais de la mutualité à 16h00. Il est vrai que la colère gronde au sein des entreprises guadeloupéennes dont un bon nombre de patrons ont choisi de ne pas honorer leur signature, en remettant en cause l'article 5 de l'accord Bino, correspondant à la clause de convertibilité. En effet, des aides de l'Etat et des collectivités locales avaient été prévues pour une durée maximum de 3 ans afin que les entreprises puissent mettre leur comptabilité à jour pour pouvoir prendre l'intégralité de la charge des 200 euros. Les trois ans sont écoulés et voici que de nombreux patrons signifient leur refus de payer les 200 euros.

Peut-on demander aux salariés de renoncer à un des points qu'ils ont arraché de haute lutte il y a trois ans et pour lesquels ils ont concédé d'importants sacrifices ? Qui plus est un acquis social auquel ils se sont habitués alors que les prix n'ont cessé d'augmenter depuis. A plusieurs reprises lors de la manifestation du 1er mai à Marie Galante, les syndicalistes qui ont pris la parole, dont Domota, ont réitéré qu'ils ne laisseraient pas Jacques Bino se faire tuer une deuxième fois. Des conflits ont donc commencé à éclater un petit peu partout, l'attention se cristallisant surtout sur Gardel, car la grève des ouvriers de l'usine sucrière compromet les revenus des planteurs de cannes qui vont perdre la récolte 2012. Au lieu de placer le patron devant ses responsabilités puisqu'il a déclenché cette crise, ce sont les grévistes qui sont mis en cause par des planteurs qui les accusent d'enfermement idéologique. Il est évident que certains se frottent les mains de l'impact médiatique que ces affrontements entre travailleurs peuvent susciter. Le vieil adage latin "divide et impera" (diviser pour mieux régner), fait encore recette en 2012.



Manifestation du 27 mars 2012 à Pointe-à-Pitre (photo ©FG)


Ambiguïtés

La division menace aussi au sein du LKP :
  • L'UPG, par exemple, syndicat indépendantiste agricole, semble avoir pris ses distances avec l'UGTG suite à cette même question de la canne.
  • Le 27 mars, on n'a pas vu la CTU dans les rues de Pointe-à-Pointre, pas plus que ses membres n'ont défilé le 1er mai, préférant organiser seuls une rencontre sur le thème de l'accord Bino...
  • La CGTG, qui comme Combat Ouvrier, s'est retirée des instances dirigeantes du LKP, a organisé un défilé du 1er mai à Pointe-à-Pitre, quand le reste du collectif, hormis la CTU donc, défilait à Marie Galante. Si officiellement, c'était pour des raisons de logistique, il en a résulté un sentiment d'éclatement.
  • Le PCF et l'UPLG sont engagés dans les FPAC, Forces Patriotiques Anti-Colonialistes, au côté du FKNG, du CIPPA et du COPAGUA et tentent de trouver un prolongement politique pour l'après-LKP...
Bref, le Guadeloupéen peut avoir le sentiment d'un mouvement sinon éclaté, du moins dispersé et cette confusion peut jeter le trouble, voire démotiver. Pour couronner le tout, l'appel à la grève du 10 mai n'a pas été signé par le LKP mais par une intersyndicale regroupant 12 syndicats, dont les trois principaux (UGTG, CGTG et CTU), alors que les meetings de préparation étaient organisés par le LKP !

Un certain nombre de questions se posent aussi :
Les importantes inondations qui viennent de frapper la région pointoise auront-elles un effet sur la mobilisation ; les stations services dont un certain nombre a commencé à fermer pour cause de grève ce 9 mai, auront-elles un rôle aussi important qu'en 2009 (rappelons qu'en 2010, aucune n'avait suivi le mouvement de grève) ; comment va réagir le ministrable Lurel et l'opinion publique, ébranlée par l'affaire Gardel ; quelle réaction aura François Hollande si le mouvement prend de l'ampleur ? Faut-il espérer de lui, moins de mépris et plus de considération vis-à-vis d'une Guadeloupe qui lui a été si favorable ou aura-t-il à cœur d'asseoir son autorité en faisant preuve de la même intransigeance que son prédécesseur ?


Enfin un discours politique fort

Comme je l'indiquais en 2010 dans l'ouvrage que j'ai coécrit avec Nicolas Rey, la prévisible dénonciation de l'accord Bino par les patrons qui en sont signataires constitue en soit une bombe à retardement et le motif d'une reprise sérieuse du mouvement social. Entre temps, l'Etat a fort habilement prolongé le versement du RSTA jusqu'au 31 décembre 2012 pour ceux dont les patrons n'ont pas signé l'accord Bino, mais qui dépendent de l'extension de l'accord alors promulguée par le ministère du travail. Autrement dit, les 200 euros ne s'arrêteront pour eux que dans quelques mois ; un tour de passe-passe qui permet d'éviter que tous les travailleurs précaires, 80 000 foyers concernés par le versement des 200 euros selon le LKP, ne se retrouvent en même temps, du jour au lendemain, à devoir faire face à une baisse brutale de 200 euros de leur pouvoir d'achat. 

Un dernier facteur, last but not least, est le nouveau discours adopté par un LKP, où les indépendantistes ont désormais les coudées franches. Alors que les années qui ont suivi le mouvement de 2009 ont été caractérisées par un discours peu enclin à soulever les foules, de type syndical, se bornant à s'indigner du non-respect des engagements, voilà que le LKP renoue avec un discours politique. Ce nouveau discours qui s'autorise à parler de souveraineté, Elie Domota en a donné un très bel exemple le 26 mars, veille de la première journée de mobilisation. Chien Créole l'analyse dans l'article précédent. Si certains pourront déplorer l'orientation nationaliste au dépens des autres tendances prévalant depuis le début au sein du LKP, il n'en demeure pas moins que ce genre de discours est porteur d'un souffle incontestable, capable de mobiliser, voire d'enthousiasmer et pourrait donc relancer, dès demain ou à moyen terme, une dynamique jusque là, en panne.


Frédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

2 commentaires:

Anonymous Gil MANUEL a dit...

"le LKP entend s'affranchir du rythme de l'hexagone et par là même, se rendre maître de son propre calendrier"...

Se rendre maître versus Maîtriser :s

" Nous n’avons pas éliminé Nicolas Sarkozy pour nous contenter d’une soirée de sortie place de la Bastille avant le dernier métro. Maintenant il faut donner au peuple la part à laquelle sa victoire lui donne droit. C’est-à-dire du pognon et des services publics, pour résumer l’affaire ! "
[JLM aujourd'hui]

http://www.jean-luc-melenchon.fr/2012/05/08/une-deferlante-de-joie-plate/

10 mai 2012 à 11:14  
Blogger LIDEJIS a dit...

Je ne suis pas sûr que le LKP ne soit pour rien dans la défaite de Sarkozy.
Si les dirigeants du LKP sont plutôt favorables à l'abstention et que celle-ci a bien été plus forte en 2012 qu'en 2007, on peut aussi penser que la campagne menée par le LKP pour dénoncer, depuis 2009, le non-respect par le gouvernement français des accords signés et des engagements annoncés a pu jouer un rôle non négligeable sur le score extrêmement bas du président sortant (finalement sorti !).
Il faut remarquer que Sarkozy a vu le nombre de ses électeurs quasiment divisé par 2 en Guadeloupe, de 92 000 en 2007 à 48 000 en 2012, et que c'est en Guadeloupe et à la Réunion qu'il réalise, avec 28 %, ses plus bas résultats en pourcentage des voix exprimées au second tour. Deux colonies où la lutte contre la pwofitasyon a été particulièrement active tout au long de la période et où l'inaction du gouvernement dans ce domaine, qui s'apparente à une forme de complicité avec les secteurs de l'import et de la distribution, a été dénoncée et longuement expliquée sur la place publique.
Que les personnes qui ont décidé d'aller voter n'aient pas suivi la position des dirigeants du LKP, c'est une chose ; qu'elles l'aient fait en prenant en compte les démonstrations argumentées du LKP n'est pas non plus, il me semble, à écarter.

10 mai 2012 à 21:39  

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