26 mars 2012
Elie Domota - UN
DISCOURS POUR LA POSTERITÉ
Le discours prononcé par Elie Domota au soir du 26 mars 2012, veille de la journée de mobilisation du 27 mars, confirme un tournant entamé depuis un certain temps où la question de la souveraineté de la Guadeloupe est abordée sans tabou. Chien Créole vous propose de découvrir les passages les plus remarquables, traduits en français, de ce discours, riche et souvent émouvant.
Manifestation du 27 mars 2012 - Photo Rojé de Radyo Tanbou
Comme à chaque meeting LKP, Domota est le dernier à prendre la parole, et il n'est pas loin de 23 heures quand face aux centaines de militants rassemblés devant le Palais de la Mutualité, il s'empare du micro. Sa voix, relayée par de puissantes enceintes résonne dans tout le quartier de l'assainissement. Il commence par s'en prendre aux habitudes consuméristes et à désigner les priorités que nous avons parfois tendance à négliger :
« Il faut bien qu'on se mette en tête que changer la Guadeloupe et construire une autre Guadeloupe ne se résume pas à baisser le prix du butane ou du paquet de gâteaux. Nous avons mis à nu la pwofitasyon, mais mettre à nu la pwofitasyon, ça veut dire que nous même nous devons réfléchir pour voir comment éviter de nous laisser prendre dans leurs pièges. Nous pouvons éviter d'acheter leur paquet de biscuits. (…)
Je ne dis pas qu'il ne faut rien posséder, tout le monde aime bien avoir certaines choses, mais il y a beaucoup de choses pour lesquelles nous nous endettons et dont nous n'avons pas besoin. Par contre, la santé, l'éducation, la formation, la culture, ça c'est vraiment important pour que nos enfants grandissent, pour qu'ils apprennent et pour qu'ils comprennent la nécessité du fait qu'ils dirigent ce pays. »
Il poursuit en reprenant les idées d'un discours déjà tenu en 2009, une charge contre la façon dont fonctionne la démocratie représentative. Parlant des politiques, il dénonce avec un ton sarcastique qui provoque plusieurs fois des rires nourris dans l'assistance:
« Trop souvent, ils considèrent le peuple comme une masse inerte qui n'est là que parce qu'on lui donne le droit de voter un jour mais le lendemain matin, ils ne le connaissent plus. Nous voyons tout le temps, ici comme en France, y a un gars qui va aux élections et qui vient nous dire que ses amis sont venus lui demander de sauver le pays (…) et une fois élu, évidemment le gars fait ce qu'il veut vu qu'il est devenu chef. Là il vient te voir et il te dit ouais, mais c'est pas ça que j'avais dit, tu sais, avec la conjoncture, le CAC40, tout ça, tu ne comprends pas de quoi le gars est en train de parler mais le gars le dit comme ça donc vous ne comprenez pas. Mais comme vous, vous êtes dans une association, dans un syndicat, vous allez voir les autres et vous dites ça va pas, nous allons au conseil municipal lui dire ce qu'on pense, et de toutes façons, on se met en grève.
Le carré de tête de la manif du 27 mars - Photo ©FG
Mais
le gars envoie les manblos parce que vous troublez l'ordre public,
vous faites de l'entrave à la circulation. Donc ce gars que vous
avez mis au pouvoir, il vous met en tôle parce que vous l'empêchez
d'administrer "son"
pays ! Et très souvent il vous dit : « mais si vous
n'êtes pas content, dans 6 ans, choisissez quelqu'un d'autre à ma
place ». Vous êtes furieux, vous vous mettez à chercher
quelqu'un d'autre. Et quand vous avez trouvé votre homme, vous
dites : « on va le faire élire », il dit « pani
pwoblem » et quand il est élu, il vous dit « on ne peut
rien faire parce que mon prédécesseur a laissé une ardoise plus
que salée ! Du coup, on est obligé d'augmenter les impôts. Et
à ce moment-là, vous culpabilisez, vous vous dites, c'est moi qui
ai fait ça, c'est moi qui ai été le chercher (…) Donc en fin de
compte, ils nous manipulent sans cesse dans ce système, mais par
contre eux y sont très bien dans ce système puisque c'est leur
système ! »
Oubliant
le ton amusé qu'il venait de prendre, Elie Domota avance l'idée
d'instaurer un contrôle des élus par la population :
« Quand
est-ce que nous, peuple en mouvement nous allons dire : mais
c'est ça qu'on veut ; quand allons nous instaurer un autre
pouvoir où nous pourrons contrôler ce que font les élus ?
Vous vous engagez à faire telle et telle chose, et bien au bout de
deux ans, nous allons vérifier ce que vous faites. Si au bout de
deux ans, vous n'avez pas fait ce pourquoi vous êtes là, sortez de
là. (…) Et deuxième chose, s'il y a trou et que vous n'êtes pas
capable d'expliquer, parce qu'il y a un cyclone qui est
passé ou autre, nous saisirons vos biens personnels. Alors bien
évidemment, dans ce système-là, ce n'est pas possible. »
Très
inspiré, il en appelle ensuite à chacun, pour que le changement
véritable passe déjà par une prise de conscience individuelle et
des attitudes conséquentes et engagées :
« 2011,
2012, nous avons dit : déchouké tout pwofitasyon, nous avons
dit liyanné les travailleurs, le peuple Guadeloupe, en mouvement et
en conscience, dans la rue, pour que nous construisions une autre
Guadeloupe. Mais construire une autre Guadeloupe, ça ne veut pas
seulement dire changer les têtes au pouvoir, c'est changer ce
système. (…) Ça veut dire que dans tous les domaines, nous devons
faire preuve d'innovation, nous devons faire preuve d'audace, nous
devons faire preuve de création. Il faut faire en sorte de libérer
notre esprit dans tous les domaines et dans tout ce que nous faisons,
faire œuvre de résistance. Résistance dans la pratique du créole,
en utilisant le créole, dans la pratique de la culture, de la
musique, pour ce qui touche à ce qu'on mange, à ce qu'on boit, dans
tout ce qu'on fait il faut innover, même lorsqu'on fait à manger
chez nous. Il faut que nous cherchions à innover, à changer, à
découvrir de nouvelles saveurs, à utiliser les produits de chez
nous. Il faut mettre nos esprits en action, l'objectif c'est de
changer la vie. »
Il
termine en replaçant la lutte pour la souveraineté dans une
perspective à long terme, voire à très long terme et en en
soulignant quelques voies qui peuvent être empruntées, toujours
dans le domaine de la création, avant d'être applaudi à tout
rompre :
« Nous
voyons que beaucoup ont déjà annoncé la disparition du LKP depuis
2009, LKP continue à résister (…) mais nous résistons parce que
nous savons que l'objectif, c'est de construire une autre Guadeloupe,
plus juste, plus équitable, de réformer les rapports sociaux, de
faire en sorte que nous Guadeloupéens prenions en main la destinée
de ce pays, non pour faire ce que font les autres mais pour faire en
sorte que nous ayons une société plus juste, plus équitable.
Développer le pays pour nos enfants, pour que quand nos enfants se
lèvent le matin, ils puissent se dire qu'il y a une Guadeloupe
ouverte sur la Caraïbe et ouverte sur le monde et pas simplement
être des petits Français dans la Caraïbe, qu'on arrête de leur
faire croire qu'ils sont des ultra-périphériques, des ultra-marins.
C'est ce combat-là que nous pouvons appeler un combat pour la
souveraineté qui est extrêmement difficile. Alors très souvent
nous entendons des gens dire : oui mais j'ai envie de voir, j'ai
envie de voir, j'ai envie de voir. Le premier esclave qui s'est
échappé, qu'a-t-il vu ? Le deuxième, qu'a-t-il vu ? Ça
ne veut pas dire qu'il ne faut pas voir, hein, mais ça veut dire
qu'il ne faut pas que nous nous mettions en tête que nous devons
absolument voir quelque chose. Parce qu'à force de vouloir voir,
tellement notre envie est grande, l'âge finit par nous rattraper et
nous nous fatiguons, nous finissons par croire que l'aspiration à la
souveraineté, c'est utopique, que ce n'est pas possible et nous
serons tenté par le renoncement voire pire : nous tenterons de
dissuader ceux qui ont envie de continuer à se battre. Alors c'est
pour ça que le temps ne doit pas être un obstacle. Il faut se
mettre en tête que ce n'est pas pour nous que nous battons, mais que
c'est pour nos petits-enfants que nous nous battons.
C'est
pour nos petits-enfants que nous nous battons, pour leur permettre
d'entrevoir le chemin vers la souveraineté, parce qu'il n'y a que
comme ça que nous pouvons gagner. Alors ça veut dire que nous
devons nous même changer notre comportement vis-à-vis de toute
chose, nous devons développer notre esprit critique vis-à-vis de
tout ce que nous entendons, de tout ce que nous voyons (…) et je
redis ça une dernière fois, toujours laisser notre esprit divaguer
vers la création, ne pas brider nos enfants, créer dans le domaine
littéraire, artistique, en matière artisanale, créer ! Nous
avons l'idée, le peuple a l'idée et c'est dans la construction que
nous créerons une autre Guadeloupe. »
FG
(chien.creole@gmail.com)
Merci
à Rojé de Radyo Tanbou qui m'a fourni l'enregistrement.
1 commentaires:
OK mais on l'entend pas là.
c'est important d'entendre la voix.
La manière de parler.
( gros Roger )
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