lundi 9 novembre 2009

Analyse du discours de Sarkozy (1ère partie)


LES GRANDS PRINCIPES


C’est un discours fleuve, très lyrique, que Nicolas Sarkozy nous a asséné vendredi à 17h00, heure de Paris, au terme de ses fameux états-généraux et d’un premier conseil interministériel sur l’Outre-mer. Pourquoi 17h00 ? Parce qu’il fallait bien trouver un créneau horaire où il pourrait tout aussi bien être suivi en direct aux Antilles, en Guyane, qu’en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie ou à la Réunion ! Il a annoncé toute une série de mesures susceptibles selon lui d’établir « une relation renouvelée avec la métropole », n’hésitant pas à proclamer que ces décisions inauguraient « un nouveau cycle historique ». On allait voir ce qu’on allait voir.


« La France sans l’Outre-mer ne serait plus la France »

Le discours commence plutôt bien. Nicolas Sarkozy rappelle dans un premier temps ce que la France doit à son Outre-mer.

Historiquement déjà, avec les "dissidents" des Antilles qui ont constitué les premiers mouvements de résistance au nazisme, rendant hommage en particulier au Guyanais Felix Eboué et au rôle qu’il a joué en Afrique pendant cette période. Il cite également deux autres hommes d’Etat originaires des Outremers : le Guyanais Gaston Monnerville, président du Sénat de 1959 à 1960 et le Réunionnais Raymond Barre (si, si, j’ai vérifié sur Wikipedia, c'est pas une blague !), ancien premier ministre.

Raymond !


Puis il passe en revue les sportifs émérites, de Roger Bambuck à Lilian Thuram ; les hommes de lettres comme St John-Perse, ou Aimé Césaire ; les personnalités engagées comme Frantz Fanon ou Roland Garros. Tiens, il a oublié Domota ! Bon, il ne prétendait pas être exhaustif non plus.

Au-delà du potentiel humain, il rappelle que l’Outre-mer permet à la France d’être la 2ème nation maritime au monde avec « 11 millions de km² de zone économique exclusive », juste derrière les États-Unis. La France est aussi « une puissance spatiale de premier plan » grâce à la base de Kourou en Guyane ajoute t-il ; et, point beaucoup plus polémique quand on pense à Mururoa, il se félicite du fait que grâce à l’Outre-mer, la France soit « une puissance nucléaire respectée » (sic). Il poursuit : « Sans l’Outre-mer, la France n’aurait pas l’influence diplomatique majeure que lui confère sa présence sur les quatre océans et en Amérique latine. Sans l’Outre-mer, enfin, la France ne pourrait pas s’enorgueillir de posséder une biodiversité avec laquelle aucun autre pays au monde ne peut rivaliser. Mes chers amis, je vous le dis comme je le pense, la France sans l’Outre-mer, ce ne serait plus la France. »


Un langage colonial ?

Il va sans dire que cette conclusion ne peut pas être du goût des indépendantistes. Par contre, elle devrait rassurer tous ceux qui redoutait que la France n’attende que la première occasion pour se "débarrasser" des Antilles. Le LKP pour sa part va fustiger un discours qui met en lumière l’intérêt exclusif de la métropole, ce qu’il considère comme étant le propre de la logique coloniale. Et puis, comme le rappellera fort à propos Elie Domota au cours du meeting qui aura lieu le soir même, Sarkozy a omis de préciser qu’une grande partie de la richesse de la métropole a été concédée au prix du pillage des ressources des colonisés, du sang et de la sueur des esclaves, antillais notamment.

Affiche coloniale

Il n’empêche que les propos de Sarkozy seront certainement bien perçus par une très grande partie de la population guadeloupéenne, excédée d’entendre à tout bout de champ, notamment par les analystes de droite pendant le conflit social, que les Antilles vivent au crochet de la métropole, qu’elles sont un poids pour la France, qu’elles lui coûtent cher ! Nicolas Sarkozy en sa qualité de président de la République a su rendre justice sur ce point à l’Outre-mer, concernant l’histoire récente.


La reconnaissance explicite des problèmes soulevés par le LKP

Tout au long de son allocution, Nicolas Sarkozy va s’étonner, s’indigner : « il est quand même extraordinaire de voir que… » ou « qui peut comprendre que… » ou encore, ironique, « l’administration a des charmes qui ne lasseront jamais de surprendre », etc. La démonstration sérieuse, systématique et professionnelle des aberrations du système par le LKP met le gouvernement dans l’impossibilité de les nier. Pour ne pas perdre complètement la face et pour tenter d’éclipser le rôle du LKP, Sarkozy feint de découvrir ces problèmes, et les trouvant inacceptables, de spontanément chercher à les prendre à bras-le-corps. Comme si les Français avaient pu oublier qu’il appartient à l’équipe au pouvoir depuis de très nombreuses années : ministre pendant deux ans de 93 à 95 puis de 2002 à 2007, et enfin président depuis un demi-mandat ! Il a notamment occupé les fonctions de ministre de l’intérieur de 2002 à 2004. Or, ne l’oublions pas, sans être confondu avec le ministère de l'Outre-mer, le ministère de l’intérieur était fortement associé à la gestion de l'outre-mer. La virginité de Sarkozy par rapport à ces dossiers est aussi douteuse que celle de la première dame de France au moment de leurs épousailles… Personne n’est dupe. Et s'il en faut encore une preuve, je vous recommande chaleureusement l’excellent documentaire "Les derniers maîtres de la Martinique" qui met magistralement en lumière la connivence existant entre le "pouvoir béké" et l’Elysée de M. Sarkozy.

Enfin, puisque lui-même donne implicitement raison au LKP, ne boudons pas notre plaisir et citons quelques phrases choc de son discours :

- « La crise récente a ébranlé une partie de l’Outre-mer, et je crois pouvoir le dire, de la France dans son ensemble. »

- « les dysfonctionnements à l’origine du mouvement social, reposent dans l’ensemble, sur une réalité que personne d’honnête ne peut contester. »

- « Le constat que la situation prévalant dans les Outremers n’était plus tenable est partagé jusqu’au plus haut niveau de l’Etat. »


L’étrange conception sarkozienne de la politique et de la mort

Puis prenant un ton menaçant mais toujours sans citer le LKP (il ne le citera d’ailleurs pas une seule fois alors que tout un chacun sait que sans LKP, ce conseil interministériel avec son lot de décisions ainsi que cette allocution n’auraient jamais eu lieu), il martèle qu’il ne tolérera jamais que l’Etat de droit soit mis à mal (en entendant ça, je ne peux m’empêcher de resonger à l’interrogatoire politique parfaitement illégal qu’un membre de ses services secrets m’a infligé lors de sa venue à Petit-Bourg [relire http://chien-creole.blogspot.com/2009/06/arrestation-arbitraire.html] ) ; qu’il n’acceptera jamais que la légitimité des élus soit contestée ailleurs que dans les urnes. Ainsi donc, dans le monde idéal de Nicolas Sarkozy, le citoyen n’existe en tant que tel qu’une minute tous les trois ou quatre ans, au moment de mettre un bulletin dans l’urne pour donner carte blanche à tel ou tel sur la base de promesses électorales qu’il ne tiendra généralement pas, comme la question du pouvoir d’achat, défendue en Guadeloupe par le LKP, pas par le président élu sur cette promesse (n’est-ce pas monsieur Sarkozy ?). Voilà la conception de la démocratie d’un homme qui méprise toutes les expressions populaires, quelles soient sociales ou politiques, non-institutionnelles. Ne déclarait-il pas, narquois, il y a peu que désormais lorsqu’il y avait une grève en France, plus personne ne la voyait ? N'aurait-il pas fâcheusement tendance à prendre ses rêves pour des réalités ?

Il persiste d’ailleurs à vouloir donner aux ultramarins des leçons de démocratie en leur signifiant qu’il n’accepterait jamais « que les principes de notre fonctionnement démocratique soient remis en cause. » Venant de quelqu’un qui s’est assis sans vergogne sur le résultat des urnes quand le peuple français a été consulté sur l’adoption de la très libérale constitution européenne, ça ferait presque sourire. Le respect de la démocratie pour Sarkozy a souvent tendance à se confondre avec le respect des intérêts qu’il défend, et qui, malheureusement, coincident rarement avec ceux de la population… [NDLA :Si je me retrouve en taule demain pour l’avoir remis en cause comme élu, en dehors des urnes (il s’est bien permis de dire qu’il ne le tolérerait pas, sans que ça suscite, que je sache la moindre protestation), je compte sur vous, fidèles lecteurs de Chien Créole, pour m’envoyer des oranges.]

Notons pour conclure cette première partie que la mort du elkapiste Jacques Bino pour Nicolas Sarkozy ne constitue pas en soi quelque chose d’irréparable ; je le cite : « En Guadeloupe en particulier, nous sommes passés tout près de l’irréparable. Un homme est mort. Je ne l’oublie pas. » Si la mort d’un homme ce n’est pas l’irréparable, alors qu’est-ce que c’est pour Sarkozy ?!! Un mal pour un bien ?! Il faut bien reconnaître que l’exécution du syndicaliste a permis, en accusant aussitôt les jeunes des barricades de l’avoir tué, que les forces de l’ordre reprennent le contrôle de l’archipel, (à ce sujet, relire http://chien-creole.blogspot.com/2009/02/la-mort-de-jacques-bino.html et http://chien-creole.blogspot.com/2009/04/contre-enquete.html)...

A suivre…


FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

4 commentaires:

Anonymous le visiteur a dit...

mignon et câlin, avec ça

il doit confondre avec les îles allez ouste tiennes

d'après mes calculs, s'il est écolo sur les bords, ça doit être la faute à la gauche culturelle alcolo

10 novembre 2009 à 02:40  
Anonymous perlerouge a dit...

excellent article, analyse fine du discours sarkozien.!
Bravo encore de nous tenir éveillés.

11 novembre 2009 à 12:25  
Anonymous Anonyme a dit...

Sandie a dit...: Moi je trouve que c'est une bonne analyse, traductrice tout d'abord d'une hypocrisie du gouvernement français noyée sous la flâterie (on ne vous aime pas mais dans un sens on a besoin de vous: puissance maritime, spatiale, sportive, littéraire...et surtout pour la seconde électorale). De plus, cette analyse démontre une fois de plus la facilité qu'à le gouvernement à faire beaucoup de bruit pour rien: un discours avec beaucoup de mots et pourtant si vide de sens.Rien de concret.Un discours qui ne changera rien dans nos vie et encore moins dans la sienne. Pour lui il a bien parlé et il peut simplement retourner dans sa vie bling bling dans les bras de Carlita.
Mais dans tous les cas merci Frédéric pour ton travail et ce moment d'humour.

11 novembre 2009 à 13:25  
Anonymous le visiteur a dit...

je vois ici deux personnes avec le petit doigt en l'air.
Serait-ce l'heure du thé ou bien est-il question d'un intrus ?

12 novembre 2009 à 22:51  

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