dimanche 6 septembre 2009

Rentrée sociale

ELIE DOMOTA : « DANS LES COLONIES, LES REBELLES, ON LES MATE ! »


Chien Créole : Elie, dans le dernier article publié sur Chien Créole (http://chien-creole.blogspot.com/2009/08/du-lkp-lustke-de-la-martinique-la.html), je fustige la répression que le gouvernement déchaîne contre le mouvement syndical, le dernier exemple en date étant les six "Contis" qui viennent de prendre plusieurs mois de prison avec sursis pour le saccage de la sous-préfecture. Que penses-tu de cette stratégie ?

Elie Domota : La première chose que je tiens à dire, c’est que nous soutenons et sommes solidaires des luttes des travailleurs français, quelques soient les méthodes qu’ils jugent utiles d’employer pour la défense de leurs droits. Toutefois, je ne peux m’empêcher de me demander ce qui serait arrivé si c’était nous qui avions saccagé une sous-préfecture…


Elie Domota, plongé dans la presse locale (photo FG)


Pour les Contis, Alliot-Marie a déclaré qu’elle condamnait le geste mais comprenait la détresse sociale, par contre lorsque nous avons recours aux piquets de grève, on est aussitôt traité de terroristes, de tontons macoutes. A croire que la détresse sociale n’existe pas chez nous ! Si nous avions saccagé la sous-préfecture, on aurait parlé de coup d’état, et ce n’est certainement pas de la prison avec sursis que nous aurions fait, ça je te l’assure. La Nouvelle-Calédonie est là pour le rappeler : dans les colonies, les rebelles, on les mate. Et si nous avions eu le malheur, comme en métropole, de mettre des bombonnes de gaz dans des entreprises et de menacer de les faire sauter, mais on nous aurait tiré dessus !


CC : Tu es le dirigeant du principal syndicat indépendantiste de Guadeloupe, Gérard Jodar, qui croupit actuellement dans les geôles de Nouméa est le dirigeant du principal syndicat indépendantiste de Nouvelle-Calédonie. Sa très lourde condamnation a certainement aussi valeur de message pour toi, tu sais que tu es attendu au tournant pour la rentrée sociale. Est-ce que ça suffit à t’intimider ?

ED : Non, ça ne me fait pas peur. La meilleure arme contre la répression c’est l’unité et la solidarité. Juste avant la rentrée par exemple, on s’est battu pour soutenir Delphine Prudhomme, enseignante au lycée Jardin d’Essai, très engagée dans le combat syndical et dans le LKP, animatrice du journal rebelle, proche de Combat Ouvrier. Elle a été menacée de sanctions disciplinaires et de mutation d’office par le rectorat.


Delphine Prudhomme au côté notamment de Max Celeste de Combat Ouvrier, membre du LKP)


Nous avons été nombreux à la soutenir, même si pendant l’été, il est toujours plus difficile de mobiliser et nous avons prévenu que le jour de la rentrée, nous serions des milliers à l’accompagner. Ça a payé et les poursuites disciplinaires à son encontre ont été levées. Le pouvoir central et le patronat sont très unis, nous n’avons pas d’autre choix que de l’être à notre tour. Et notre solidarité va à tous les mouvements de travailleurs comme en attestent encore nos communiqués récents en solidarité à l’USTKE, pour le Honduras ou pour Haïti, entre autres.


CC : A propos d’unité, j’étais absent pendant l’été mais fin juin, début juillet, j’ai eu la franche impression qu’une importante partie de la population n’était pas prête à repartir dans un mouvement tel que nous l’avons mené en début d’année. Cette division annoncée ne risque t’elle pas de faire le jeu du gouvernement, habile à monter les uns contre les autres, selon le fameux précepte de Machiavel, diviser pour mieux régner ?

ED : France Antilles a publié un sondage au mois d’août où il apparaissait que 45% des Guadeloupéens considéraient qu’il fallait continuer la lutte. Après six mois, je trouve ce résultat phénoménal. Et puis les désaccords portent sur la méthode mais l’immense majorité de la population a conscience que la situation actuelle est inacceptable. Dernièrement, nous avons mis en place des "lyannaj a pawol" dans les quartiers ? Ce sont des rencontres que nous organisons pour écouter ce que les gens ont à dire. Ce qu’il en ressort, c’est qu’ils en ont marre de se faire arnaquer. Par exemple, pour ce qui est de la baisse des prix de première nécessité, l’état s’était engagé à embaucher des inspecteurs de la répression des fraudes mais rien n’a été fait.


CC : Et le numéro vert mis en place pour dénoncer les irrégularités ?

ED : Personne ne répond jamais. Nous allons devoir organiser nous même des opérations coup de poing dans les supermarchés pour demander des explications concernant le non respect de la baisse des prix de certains produits de première nécessité, quand ils ne sont pas purement et simplement absent des rayonnages et puis poser des questions aussi sur la flambée de tous les autres produits.


CC : Et de manière plus générale ?

ED : Nous restons attachés à notre plateforme de revendications initiale, en dépit des tentatives du gouvernement pour nous en détourner, comme avec la farce des états généraux, par exemple. Nous continuons d’exiger le respect des engagements déjà pris, la continuation des négociations concernant les points qui sont restés en suspens et le respect des accords salariaux. Si dans tous ces domaines, aucune avancée n’est observée, nous prendrons le temps qu’il faut pour bien nous préparer et repartir sur une mobilisation très forte. La Guadeloupe a commencé à se transformer et les choses vont continuer à changer. J’ai foi en l’avenir.


CC : Un des principaux reproches que l’on peut entendre aujourd’hui contre le LKP concerne la liquidation de nombreuses entreprises, en particulier dans le secteur de l’hôtellerie. C’est le mouvement des 44 jours qui en serait responsable. Que réponds-tu à ceux qui tiennent ce discours ?

ED : C’est évident que certaines entreprises ont souffert du blocage économique, je ne le nie pas ; mais il faut mettre les choses en perspective. Prenons le cas de l’hôtellerie puisque tu l’évoques. Déjà, songe à tous les hôtels qui ont mis la clé sous la porte depuis dix ans. Il y en a eu un paquet et pourtant le LKP n’existait pas encore. Ensuite, la Guadeloupe n’échappe pas à la crise mondiale. Le taux de remplissage en Polynésie cette année n’a même pas été de 50% et si celui de France a légèrement augmenté, c’est précisément parce que ceux qui privilégiaient les destinations ultramarines, dans cette situation de crise, ont préféré rester en métropole. Mais personne ne tient compte de tout ça, des milliers de licenciements journaliers France métropolitaine, comme si la Guadeloupe était hors du monde… C’est bien simple, en Guadeloupe la crise a un nom : c’est le LKP !

La vérité, c’est que le Club Med ou le Manganao, pour ne citer qu’eux, ont préféré partir plutôt que de négocier les accords salariaux. En Guadeloupe, il n’y a jamais eu de véritable politique de développement touristique. Les entreprises sont là pour empocher un maximum d’argent point barre. Il faut dire que ça vaut la peine : ici les hôteliers sont exonérés de TVA, de taxe professionnelle, de charges patronales pour la sécurité sociale. Ils bénéficient de la défiscalisation, du plan corail, des primes pour la rénovation des chambres, et j’en passe… Beaucoup d’entreprises liquidées, tous secteurs confondus étaient en redressement depuis des années. Elles ont profité du cyclone LKP pour déposer le bilan. Pour elles, c’est un simple outil de gestion. Je te donne un simple exemple, le Domaine de Vallombreuse(1). France Antilles annonçait l’autre jour que suite aux difficultés créées par le LKP, le site a du déposer le bilan. Qu’en est-il réellement ? L’entreprise était en redressement judiciaire depuis mai 2007, pour non payement des cotisations sociales, par décision de la chambre commerciale du tribunal de Pointe-à-Pitre. Au passage, le directeur de la sécurité sociale a fait une déclaration qui est un peu passée inaperçue au moment du tour de la Guadeloupe mais qui n’est pourtant pas dénuée d’intérêt : la Guadeloupe détient le record de France du non-payement des cotisations sociales par les entreprises. Mais revenons au Domaine de Valombreuse : après sa liquidation, il vient de réouvrir sous le nom raccourci de Valombreuse. Il n’appartient certes plus à Henri Chaulet mais à sa femme. La Guadeloupe regorge de ces cas de figure, qui permettent d’effacer certaines dettes fiscales et sociales et de bénéficier des aides propres aux jeunes entreprises. Si au passage on peut éclabousser le LKP, c’est tout bénef…


CC : Je change complètement de sujet. Tu auras certainement remarqué que la grippe H1N1 connaît des piques… médiatiques. Ne trouves tu pas curieux qu’en cette période de crise mondiale, ces piques correspondent à l’avant premier-mai et à la rentrée sociale ?


Panique H1N1 (Source internet)


ED : La grippe H1N1 est bien réelle, mais certains l’utilisent comme outil de contrôle des masses. Pour commencer, si on le voulait, on aurait parfaitement les moyens d’éradiquer la pandémie. Il suffirait de sortir un vaccin générique pour les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de s’offrir le vaccin au prix fort.


CC : Oui mais tu n’es pas sans savoir que pour qu’un médicament puisse être produit comme générique, il faut un certain nombre d’année permettant au laboratoire pharmaceutique de rembourser son investissement et de faire des bénéfices substantiels dessus.

ED : Si j’en crois les médias, cette pandémie constitue une très grave menace pour la planète. Si on a les moyens de l’éradiquer et qu’on ne le fait pas pour des questions idéologiques et de profit, alors c’est le système libéral qui portera la responsabilité des conséquences.


CC : Oui comme le paludisme qui tue deux millions de personnes par an. On ne se donne pas les moyens de le combattre tout simplement parce que les pays touchés sont pauvres et que les bénéfices attendus ne seraient pas au rendez-vous.

ED : Exactement. La grippe A permet de détourner l’attention des problèmes sociaux. De plus la peur de la contagion savamment entretenue par les médias dissuade les rassemblements et les mobilisations qui pourraient menacer un ordre politico-économique chancelant. C’est pratique ! Je ne serais pas étonné qu’on déclare la Guadeloupe "terre d’épidémie" dans quelques semaines.


CC : Toujours par rapport à l’actualité, la Guadeloupe a connu une vague de violence importante pendant les vacances. Qu’est-ce que ça t’inspire ?

ED : Je trouve très bien de faire des marches blanches pour dénoncer cette violence mais j’ai envie de dire, allons plus loin, attaquons nous aux racines du problème qui ronge cet archipel. La Guadeloupe est ravagée par un taux de chômage qui s’élève à 60% en ce qui concerne les jeunes. Cette situation génèrera toujours du mal-être et de la violence. Il est temps de mettre en place des projets d’insertion professionnelle durable pour cette jeunesse. Je pense que nous allons y arriver. L’Etat doit tenir ses promesses sur ce sujet comme sur les autres et s’il fait la sourde oreille, notre mobilisation saura le lui rappeler.


CC : Une réunion de l’observatoire des prix s’est tenue le mercredi 2 septembre à la préfecture de Basse-Terre. La secrétaire à l’Outre-Mer, Marie-Luce Penchard y a exprimé son souhait d’augmenter le prix de l’essence. On sait à quel point cette question du coût des carburants est fondamentale pour le LKP. Qu’elle a été la réaction du collectif ?

ED : Nous refusons totalement cette augmentation et peu nous importe que le cours mondial ait augmenté. Comme cela a été démontré, on nous a volé sur le prix de l’essence pendant des années. Les sommes indûment perçues doivent être restituées pour servir à maintenir le gel du prix de l’essence. Avant de discuter de toute augmentation, nous exigeons l’application des articles 29, 30, 31, 32 et 90 du protocole de fin de conflit. On nous dit que la Guadeloupe ne peut pas payer moins que les autres départements français, pourtant, lorsque nous sommes premiers en taux de chômage, de SIDA, de chlordécone, de consommation de crack, etc. là, les disparités ne semblent poser de problème à personne. De qui se moque-t’on ?


CC : Le LKP a été convié à cette réunion ?

ED : Non, en revanche certaines organisations dont l’UGTG et la CGTG étaient invitées. Nous sommes habitués au fait qu’ils cherchent toujours à nous diviser par ce genre de procédés qui dénigrent le LKP. Six d’entre nous ont ainsi pu rentrer et j’ai demandé la parole au nom du LKP. J’ai dénoncé cet observatoire qui ne sert qu’à entériner des décisions prises depuis Paris et ai reproché à l’Etat de ne pas assumer ces responsabilités, concernant les points que je viens de te citer et certains autres.


CC : Comme ?

ED : Et bien concernant par exemple le fait qu’en dépit des promesses, les inspecteurs qui devaient contrôler les prix ne sont pas à pied d’œuvre. Ou encore le fait que l’Etat, contrairement à ce que stipule l’accord Bino, n’a pas tenu compte du salaire journalier comme base de calcul des ayant-droits pour l’augmentation des bas-salaires mais également de certaines primes. Résultat : Pour de nombreux employés, les patrons ont versé leur part, pas l’Etat !


CC : Quelle a été la réponse de Mme Penchard ?

ED : Nous n’avons pas attendu sa réponse et sommes ressortis rejoindre les militants qui nous avaient accompagnés.


Entrevue FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)


(1) Le domaine de Valombreuse est un parc floral qui outre la visite du site, propose de nombreux produits.


2 commentaires:

Blogger Adenanthera a dit...

Excellente interview encore une fois
Heureusement que tu existe Fred pour transmettre l'information : c'est pas sur un FranceMenti qu'une telle liberté de parole est disponible
Longue Vie au Driver Chien Créole version 2
(dans les favoris direct !)

6 septembre 2009 à 19:51  
Blogger Unknown a dit...

Concernant les médicaments, il faut savoir que c'est exactement la même chose pour le SIDA.

Les malades traités avec les tri-thérapies voient leur charge virale tomber à virtuellement rien. Ainsi, ils ne sont plus contagieux.

Du coup, une campagne mondiale de traitement par des tri-thérapies permettrait de stoper la progression de la maladie, et, à terme, d'en finir avec l'épidémie...

Voir par exemple:
http://ur1.ca/ba0l

7 septembre 2009 à 10:21  

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