dimanche 6 septembre 2009

Rencontre avec le pape du vodou (2ème partie)


MAX BEAUVOIR : « UN NOUVEAU BOIS-CAÏMAN »


Suite et fin de l'entretien que m'a accordé Max Gesner Beauvoir, Ati National, en d'autres termes le chef suprême du vodou en Haïti.


Chien Créole : Ati, quelles sont, selon vous, les valeurs du vodou ?

Max Gesner Beauvoir : Et bien, voilà une vaste question… Il y a bien évidemment la liberté : c’est dans le vodou que le peuple haïtien a trouvé la force de se soulever contre l’esclavage. Et puis dans le vodou, il existe une véritable fraternité, nous sommes tous frères et sœurs, et d’ailleurs s’il y a de la nourriture pour un, il y en a pour tous. C’est l’altruisme qui a permis au peuple haïtien de survivre. Vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes l’un des peuples les plus taxés au monde sans que nous n’obtenions rien en retour, ni école, ni ramassage des ordures, rien… Aujourd’hui, nous sommes occupés par une force étrangère, la Minustah, qui dépense chaque année 56 millions de dollars pour se maintenir. Nous pensons que cet argent pourrait être mieux employé. Malgré ça, mis à part quelques excités qui vont caillasser les convois, la Minustah jouit de l’hospitalité proverbiale des Haïtiens et cette hospitalité n’est pas propre à Haïti, c’est une valeur qu’on retrouve dans toute l’Afrique.


Max G. Beauvoir (photo FG)


CC : Le vodouisant est également très proche de la nature. Est-ce que le vodou n’a pas failli en ne protégeant pas les forêts qui sont en train de disparaître complètement en Haïti, avec les conséquences dramatiques que l’on sait ? Je précise ma question : le fait que, contrairement aux messes chrétiennes par exemple, il n’existe pas de sermon ou d’échange verbal dans les cérémonies vodou en dehors des paroles rituelles, n’a-t’il pas empêché toute une conscientisation de se faire ?

MGB : Nous avons toujours privilégié ce que nous appelons la "bonne entente". Nous préférons avoir recours aux mots le moins possible. Les murs ont des oreilles et peuvent causer la mort. Nous avons appris à nous comprendre différemment.


CC : C’est tout à fait compréhensible si on pense à la violence coloniale ou à la barbarie de la dictature des Duvalier, mais en ce qui concerne le respect de la nature, il semblerait que la bonne entente ne ce soit pas faite, vous ne croyez pas ?

MGB : Si on veut parler sérieusement du déboisement, il faut rappeler que ce n’est pas un phénomène nouveau et que ça a commencé avec la colonisation et le pillage des ressources de la forêt. Quand j’étais enfant, je me souviens aussi des grands bateaux étrangers qui repartaient remplis de bois précieux pour l’Europe et les Etats-Unis. Aujourd’hui, la coupe du bois est plutôt à usage domestique. L’Etat haïtien se soustrait méchamment à ses responsabilités et cherche à victimiser les victimes. Si les Haïtiens coupent le bois, c’est qu’ils en ont besoin. Le véritable problème, c’est que quand on coupe, il faut replanter et là encore, il n’y a aucune volonté politique de la part des gouvernements successifs. Quand je suis arrivé ici, la cour n’était qu’un chant de cannes. Chaque arbre qu’on y trouve aujourd’hui a été planté par moi. Ce que j’ai pu faire seul ici, l’Etat pourrait le réussir à l’échelle du pays mais encore une fois, il n’y a aucune volonté politique.


CC : Comment faut-il comprendre le sens du sacrifice animal dans les cérémonies vodous ?

MGB : La relation de l’individu avec Dieu est différente en fonction des croyances de cet individu. Par exemple, nous ne pensons pas avoir été créés par Dieu comme des créatures distinctes de lui avec de la boue ou que sais-je encore, nous considérons qu’il nous a créé avec sa propre nature, comme son prolongement sur terre. Dieu a placé l’homme sur terre pour la rendre sacrée. Le sacrifice animal nous permet de partager nos repas avec Dieu. Ces cérémonies nous aident à nous comprendre nous-mêmes, à nous faire ressentir la présence de l’âme en nous. L’animal sacrifié est sacralisé. Il va tel un ambassadeur porter un message à Dieu.


CC : Le judéo-christianisme est très marqué par l’opposition du bien et du mal. Cette notion existe-t’elle dans le vodou ?

MGB : Certainement : s’associer dans un esprit de construction, pour nous, c’est le bien. En revanche, tout ce qui dégrade l’individu, les plantes, les arbres, etc. nous le considérons comme le mal. Dieu nous a donné la liberté, le libre-choix. Hélas encore trop d’hommes font les mauvais choix.


CC : Maintenant que le vodou s’est reconnu un chef, peut-on pour autant dire qu’il existe une unité du culte ?

MGB : Non, il y a bien sûr une grande diversité de rites et cela ne nous dérange pas. Bien sûr, il nous faire la chasse aux charlatans et combattre certaines superstitions comme la croyance aux loup-garous volants, par exemple. En fait, nous sommes surtout unis par la fierté de qui nous sommes, la fierté de nos ancêtres et la foi en nos contemporains.


CC : le vodou connaît-il la notion de dogme ?

MGB : D’une certaine façon, oui, chaque loa est un dogme puisque chacun est une image de dieu, une parcelle divine qui enseigne aux hommes comment bien vivre dans leur environnement. Ainsi le loa Cousin Zaka symbolise le travail, Erzulie symbolise le lien affectif qui doit exister entre tous les individus, etc.


CC : En Haïti, le vodou a été reconnu religion officielle en 2003 au même titre que les religions chrétiennes et j’imagine que le fait que tous les vodouisants se reconnaissent en un seul chef n’a pas du être chose facile. Vous menez visiblement un travail d’organisation et de transparence sans précédent dans l’histoire du vodou. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce changement de statut ?

MGB : Il y aurait beaucoup à dire, mais déjà en terme d’organisation, nous avons mis en place ce qu’on appelle le Conseil des Gwetos, qui est une sorte de conseil des sages ; et puis nous avons également institué le Grand Servitorial qui se divise en différentes commissions. L’une mène une réflexion sur le culte à proprement parler, une autre s’occupe des relations publiques, etc. Nous avons aussi demandé à l’Etat d’effectuer un recensement pour savoir quel poids nous pesons dans la société haïtienne. Il s’y est refusé, alors nous avons commencé ce labeur tout seul et nous nous donnons jusqu’à 2010 pour y parvenir.


CC : Mais si vous êtes les seuls à le réaliser, il n’y a que vous qui prendrez ces résultats au sérieux.

MGB : Oui, c’est sûr, mais ce n’est pas grave. C’est un point de départ. On va voir ce que donnent les résultats. En ce qui me concerne, j’estime à 70% la part de la population vodouisante.


Cour du péristyle de Mariani, chaise aux couleurs haïtiennes (photo FG)


CC : Quel est l’intérêt pour vous d’apparaître ainsi au grand jour ?

MGB : Nous voulons jouer notre rôle au sein de cette société dont le pouvoir a toujours cherché à nous tenir à l’écart. Nous voulons recréer un nouveau Bois Caïman, mais pas sur la logique de « boulé caye, coupé tèt »(1) ; Nous cherchons un nouveau pacte dans lequel se reconnaissent toutes les composantes de la société, pour reconstruire Haïti. Nous professons la bonne entente entre tous les Haïtiens.


CC : Ça ne va pas être simple quand on voit l’acharnement que mettent les nouvelles églises protestantes, pour ne citer qu’elles, à vous diaboliser…

MGB : Ils apprendront à nous respecter. Il est important que chacun apprenne à respecter l’autre si l’on veut construire une société unie, oublier les rancœurs, la violence passée.


CC : Et qu’est-ce que les vodouisants peuvent apporter à la société haïtienne ?

MGB : Beaucoup de choses, par exemple, nous sommes détenteurs d’un savoir ancestral en ce qui concerne l’usage des plantes médicinales. Nous savons reconnaître leur énergie vitale. Par exemple, nous allons travailler avec des malades du SIDA, en association avec le traitement de la médicine conventionnelle. Nous allons effectuer tout un travail avec les individus volontaires pour mettre en harmonie leur corps et leurs organes.


CC : En complémentarité de la médecine classique et non pas en opposition ?

MGB : Nous sommes tout à fait dans cette logique.


Entrevue FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)


(1) Ce mot d’ordre célèbre a été attribuée à Jean-Jacques Dessalines, il signifie littéralement : « brûlez les maisons, coupez les têtes ». Il est à mettre en parallèle avec l’arrivée en Guadeloupe des commissaires politiques issus de la révolution française en 1791, qui ont envoyé à la guillotine tous les esclavagistes de l’archipel, de la même façon que tous les ennemis de la révolution française ont eu la tête coupée dans l’hexagone…


Retrouvez un glossaire du vocabulaire vodou sur :

http://chien-creole.blogspot.com/2009/07/lexique.html


Et les trois articles que j'ai déjà publié sur le même thème :

http://chien-creole.blogspot.com/2009/07/article-en-cours-de-preparation.html

http://chien-creole.blogspot.com/2009/07/vodou-haitien-2eme-partie.html

http://chien-creole.blogspot.com/2009/08/vodou-haitien-3eme-partie.html



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